Roméo Naderri
Date d'inscription : 28/12/2012 Messages : 82 Localisation : CHU de Sudri.
Emploi : Neuro-Psychiatre.
| Sujet: Roméo Naderri. Lun 31 Déc 2012 - 11:59 | |
| L ' I D E N T I T E |
“ NOM : NADERRI “ PRENOM : Roméo. “ AGE : La trentaine florissante. “ RACE : Vane. “ EMPLOI : Psychiatre au CHU de Sudri. “ LOCALISATION : Sudri. “ Etat face au Virus : Porteur sain.
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L ' E S S E N C E A L L U R E - G E N E R A L E Avec une ribambelle de zéro bien assis les uns au coté des autres sur mon compte en banque, je ne peux être que beau. Beau dans sa définition moderne, sociétale. Beau selon les critères normés du citoyen sain d'esprit comme je me le présente. Oui, je suis psychiatre, alors la sanité d'esprit, c'est à moi de la jauger à l'aune de mon humeur matinale.
Je suis beau, parce que je roule en corvet galactica, avec toit panoramique ouvert sur un monde qui attend d'être conquis. Parce que mes costards sont naïfs de poussière, et éventuellement parce qu'une pauvre fille aux rêves déchus va s'échiner à lustrer l'empeigne de ma godasse cependant que je parcourrai les actualités, café noir dans une main, Luckystrike dans l'autre.
Que dire qui soit plus parlant ? J'ai la taille fine et je l'ai toujours eue, héritage des salades bio de ma mère. Le nez aquilin, aussi. Les cheveux qui frisent quand il pleut, mais il ne pleut pas souvent sur mes épaules. Des grains de beauté qui se baladent sur des muscles qui s'ennuient. Des cicatrices paumées un peu partout. Des traits taillés pour le sens de l'observation. La lueur prédatrice du carnassier bien installé dans sa jungle. Un menton plus ou moins bien rasé, excusé par son ami l'impeccable nœud de cravate.
J'ai la peau blanche, mais pas trop. Rien qui ne vous permette de m'imaginer les yeux grands ouverts, plongé dans la pénombre noire d'une nuit blanche. J'ai l'allure noble, soignée, parsemée de petits points de négligence qui vont me faire passer pour un génie désinvolte ou pour un poète maudit. C'est bien, les clichés. C'est confortable et ça éclipse beaucoup de choses.
Eh bien ça va, merci, et vous ? Je mène une vie parfaitement équilibrée si l'on s'attache aux repères de notre monde : Sex, drug and rock'n'roll. Nous vivons dans l'urgence, dans la décadence, dans le secret, dans la démesure, dans la manipulation et dans l'apparence, aussi étais-je bien forcé de travailler à ces cordes pour me dresser bel arc. On dit que je suis égoïste, dépravé, présomptueux et loin de moi l'idée de nier l'évidence. C'est vrai. Je suis un consommateur de chandelle par les deux bouts, une sorte de cavalier de l'impossible dans sa version contemporaine et moche.
Pour tirer un maximum de rentabilité de mes capacités, je dope mon cerveau. Il flambe, roule en mode turbo. Mes neuro-transmetteurs sont tels des galériens coutumiers du fouet. Je suis un garde-chiourme sans pitié aucune. Le soir, quand vient l'heure de glaner quelques heures de sommeil, je l’assomme à coup d'hypnotiques. Jouer de ces substances me permet d'évoluer dans des mondes fantasmagoriques dignes de l'imagination d'un gosse, comme d'abattre de furieuses quantités de travail avec une énergie artificielle. Je suis médecin, alors je sais l'art de gérer et farder mon addiction au yeux du beau monde. Je sais les circonstances dans lesquelles je peux lâcher prise et celles où la vigilance est de mise. Il n'y a que dans l'excès que la vie me tient.
Ma passion pour la folie des hommes m'a valu bien des nuits blanches, mais elle n'était pas seule à tirer mes études de médecine. Ma passion avait pour amis chers l'appât du gain, la richesse et l'ambition pervertie d'un fils de riche habitué à la solitude. Je crois que la normalité m'ennuie, que les vies équilibrées et les bonheurs simples s’insupportent, qu'a mes yeux un sourire n'est beau que dans la psychose. C'est sans doute pour cela que ma fidélité à Asahinn est quasi indéfectible. Parce qu'elle est une surprise sans cesse renouvelée, un petit bout de femme garant de l'excès.
Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité.
Cassio Naderri est un businessman accompli à qui tout profite. Belle gueule, mise impeccable, avec ce fond de caractère bien trempé qui fait courir la presse à scandale par mont et par vaux du Quadra, les médias le qualifient de financier et trader génialissime. Pourtant, malgré son grand intérêt pour la science, pour les actions publiques, malgré une intelligence naturelle jetée en pâture dans l'arène de la bourse, Cassio Naderri confond les étoiles et les flashs des réflexes.
Ce qui l'intéresse se situe bien au-delà (ou en deça ?) de la prospérité, de l'accomplissement et même du pognon, car je reste persuadé que mon père n'aime pas l'argent pour l'argent. Non. Il aime l'argent pour la popularité qui va de pair avec l'espèce sonnante et trébuchante. Il aime l'argent parce que les objectifs des tabloïds ne vont pas renifler la misère de l'ase clandestin qui vide la poubelle. Désordre esthétique. Peut-être se dévoilerait-il encore plus intelligent qu'il ne l'est si on le payait en première page de magazine.
Pour flatter son image publique, il demande la main de Cornelia Auro, mannequin très en vogue trente ans plus tôt. Elle lui ressemble sur bien des points. Elle aussi, en cultivant les mauvaises herbes de ses complexes d'adolescente, a obtenu une véritable jungle amazonienne qui fascine et dérange. Ils entament alors une romance passionnelle, rock'n'roll, jonchée de déchirements, de je t'aime moi non plus et de shooting confondant de classe et de provocation.
C'est là que j'interviens. A l'instant où leur côte s'effondre, parce que papa, maman, le temps passe, parce que le monde des projecteurs est sans pitié, parce que pour conserver sa place au soleil dans un univers gangrené par les ombres, par l'acier et les fantômes, on doit redoubler d'ingéniosité, on doit surprendre, on doit verser dans l'inédit. Un gamin, fruit d'un amour débridé et si tumultueux, ça ne pouvait que choquer le Tout-Quadra. Tellement c'était une mauvaise idée.
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- Comment ça se passe à l'école, Romain ? - C'est Roméo, mon prénom. - Oui, bon, bref, ne fait pas l'imbécile ... Comment ça se passe à l'école ? Tu t'entends bien avec les autres, avec la maîtresse ? - Oui, et j'ai une copine, elle s'appelle Iris. C'est un nom de fleur, je trouve ça jo ... - Tu dors bien la nuit ? - ... Euh, oui, parfois je me réveille, parce que dans mes cauchemars, les éclairs me font mal aux yeux. - Ils reviennent souvent, ces éclairs ? Est ce que tu as peur d'aller te coucher ? - Non. Il y a Atalaya qui me protège. Il met ses mains sur mes yeux quand j'ai mal aux yeux. - Atalaya, il vient dans tes rêves ? - Non, il est en vrai. Comme toi et moi, monsieur. Sauf qu'il décide qui c'est qui peut le voir, et qui c'est qui le voit pas. Des fois, il m'emmène pêcher des piranhas avec un fil tout en acier. Parce que sinon, les piranhas, ils cassent le fil. - Bien. Et dis-moi, Rom... Roméo, comment tu peux expliquer que je ne le vois pas, ce monsieur ? - Je te l'ai dit. Il veut pas que tu le vois. Il est sorcier. - Tu es un peu grand, à 8ans, pour croire en la magie, mon garçon ... - Tu dis ça parce que t'es vieux. Alors merde. - Pardon ? - C'est pas le mot magique qui raccourcit les conversations ? - Non ... - C'est grave, docteur ? - Non, madame Naderri. Beaucoup d'enfant ont un ami imaginaire, aujourd'hui. Il lui faut juste un peu plus de temps pour apprivoiser le monde. - Il est débile ? Arriéré ? - Non, il a juste besoin de temps. - Vous êtes sûr que ça ne va pas être un malade mental ? - Non, madame. - Parce que nous en avons parlé, mon mari et moi, et nous pensons que ce serait un ... - Non, madame. Votre enfant est parfaitement normal.
Les petites filles enfilent des perles, et moi j'enfile les consultations psy. Normal, c'est le mot honni de l'ère nouvelle, c'est le parfait contraire d'exceptionnel. Mon père a décidé que j'étais un petit génie illuminé par une inspiration grandiloquente, et ma mère y préfère une terrible psychose qui me rendrait inaccessible pour le commun des mortels. Quand on est gamin, on est intelligent à corps défendant, plus endurant à la connerie qu'un mur de béton armé. On est tolérant parce qu'on ne comprend pas à quoi sert la répression, et pourquoi les choses doivent nécessairement servir.
Le jour où l'on croit comprendre ces choses incompréhensibles, le gamin meurt. J'ai mis du temps, à comprendre, j'ai longtemps arpenté le dédale de mon imagination avant que la gangrène des hommes n'éclate en moi. La naïveté m'a retenu jusqu'au bout. Lorsqu'elle m'a lâché la main, un peu tard c'est vrai, je suis tombé de si haut que je me suis cassé tous les os de l'illusion. Qu'il ne reste plus grand chose d'humain. Alors, Atalaya est parti sans faire de bruit. Quand je me réveille, j'ai mal aux yeux des éclairs qui rugissent dans mes rêves.
Je peux m’apercevoir que cette terre est une fosse commune dans laquelle le roi Salomon, Ophélie et Himmler reposent côte à côte.
Passé le circuit estudiantin commun du petit Vane bien né, je choisis médecine. Je ne sais plus trop pourquoi. Si tant est que le résultat brille comme une médaille Skuld, pourquoi s'intéresser à de vulgaires motivations qui restent les otages d'un esprit complexe ? L'esprit n'est pas sympa, n'est pas rentable pour le Norne ambitieux. L'esprit ne fournit pas de support organique, fiable et concret à disséquer dans tous les sens sur une planche anatomique. Ils se résument à un entrelacs de suppositions, de subjectivité et d'interprétation. Imaginez la bouille de mes parents lorsque je leur annonce que je compte me lancer à corps perdu dans cette filière asséchée ? Mon père hurle, et le hurlement d'un père équivaut à la jouissance suprême d'un fils. D'un adolescent en pleine crise.
Oui, je crois que j'ai choisi la psychiatrie comme spécialisation par pure fantaisie. Pour faire chier mon petit monde, mais aussi par amour des causes perdues et des problèmes insolubles. A l'aube de mes études, je suis plein d'espoir, un peu naïf quant aux découvertes qui m'attendent. Je pense pouvoir retrouver la piste d'Atalaya, le vieux caboclo qui est parti se planquer dans mes tréfonds. Quand je le retrouverais, je lui demanderai pourquoi il s'est tiré de ma tête sans un aurevoir. Et s'il ne supportait pas l'homme que je deviens ? M'est en mémoire qu'il n'aimait pas les salopards. Qu'il les écartait de sa route à coup de machette. Est-ce que je deviens un salopard ? Et si je m'étais pris moi aussi, un coup de machette en pleine nuque ? Je ne supporte pas, qu'on regarde ma nuque. Des fois, j'ai l'impression qu'il y existe un trou béant qui donne une vue imprenable sur mes cauchemars.
De tout cela, je ne dis mot. Quand il fait volcanique dans mes songes, je serre autour de mon cou une écharpe, un bandana, n'importe quoi pour ne pas que s'écoule le long de ma colonne vertébrale la lave de mes pensées. A la psychologue familiale, je dis que j'ai en horreur les courants d'air. Je sais ce qu'elle veut entendre pour attester que tout va bien chez moi. Je sais comment tu fonctionnes, vieille conne. Tu patientes, tapie dans une gentillesse ostentatoire que je te refile du symptôme pour remplir tes cases. C'est Fou comme je déteste être le patient.
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- Tu n'as pas l'air de dormir beaucoup, Roméo. Pourtant, il me semblait que tu étais en vacances ? - J'ai des examens en vue et une copine qui demande de l'attention. C'est difficile de choisir entre les deux. - Le repos est pourtant nécessaire. Qui est-elle ? - Une amie d'enfance, nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. - Ah ! Il s'agit de cette Asahinn dont tu m'as déjà parlé ? - Oui. - Eh bien ! Cela fait plusieurs années, déjà. C'est très beau, une histoire qui dure si longtemps entre deux jeunes gens de la bonne société. La fidélité est une denrée rare, surtout à ton âge. Tu ne l'as jamais trompée ? - Non. J'ai envie d'être quelqu'un de bien. - Qu'a t'elle de particulier ? - Vous tomberiez dans la jalousie ! - Oh, voyons ! Je veux juste savoir qu'est ce qui peut bien tenir un adolescent comme toi ! - Elle est ... très belle. Je souris en coin, très fier de mes réponses bateaux. Elle n'en fera rien.
Je suis ton talent - fais-en aussi mauvais usage que de toi-même !
Le relation qui me lie à Asahinn va bien au-delà d'une amourette. Cette fille, je l'ai dans la peau, dans le sang et dans le cerveau. Dès que l'opportunité se présente, je quitte le domicile familial pour m'installer avec elle. Je crois que j'aime ses paradoxes et la folie subtile qui lui dessine des sourires en coin. J'aime sa crinière de lionne et son regard teinté d'étrangeté. J'aime la façon dont elle me regarde et me respire. Elle n'aime que moi ! Elle m'admire ! Je règne en maître possessif sur le vaste monde que nous formons. Je me débrouille pour devenir la pièce maîtresse de sa vie. Je crois que je suis dépendant de sa dépendance. Autant je poursuis mes études avec cette tiédeur dégueulasse qui me fait passer aux yeux du tout venant pour un penseur cynique aux capacités démentielles, autant elle récolte ma douceur et ma violence. Ca ne durera pas, je crois. Ce genre d'histoire ne dure jamais.
En attendant, je fais croire à la relation pure de deux enfants grandis, et on me croit. C'est que je suis à mes heures perdues comme à mes heures gagnées un redoutable comédien. Comédien, psychiatre n'est-ce pas du pareil au même ? Ma vie suit son cour torrentielle. Je navigue entre deux univers, celui du jour, des bibliothèques poussiéreuses, des longues heures silencieuses, et celui de la nuit, de l'hérésie, de l'instinct primaire et de la perte de contrôle. Non, je ne dors pas. Pas le temps. Pas l'envie. Mon corps devient une outre à molécules et mon esprit, lui, le carrefour de mille conflits.
Dans les songes que je peux glaner, d'une micro sieste à une autre, je suis toujours en quête de mon animal sauvage, Atalaya. Seulement, je ne le course plus avec au coeur, cette incompréhension triste de gosse, non. Je le chasse comme chasse un braconnier, fusil au point, avec l'envie rageuse de régler mes comptes, de toute haine pour son abandon. Il était mon eau calme quand Asahin est mon feu sacré. Il croit que je ne le retrouverais pas, car je ne suis plus un enfant, mais il se trompe. Je parviens toujours à mes fins, même lorsqu'elles relèvent de l'impossible, même lorsqu'il s'agit de retrouver l'ami imaginaire d'un enfant écrasé de vices. Atalaya, je t'ai eu.
- Spoiler:
- Madame Naderri ? C'est le Dr Lozza. - Docteur ! Vous avez des nouvelles ? - Nous avons retrouvé votre fils. - ... Alors ? - Nous avons la situation en main. Il a eu un accident dans les bas fonds de Sudri qui a nécessité une intervention en urgence mais le cœur est reparti à temps. Ses jours sont hors de danger. Pour l'heure il reste à l'hôpital. - Son cœur ?! Un accident ?! - Une overdose, madame Naderri. L'Alpha et la Nova ne font pas bon ménage. - Qui a fait ça ?!! Qui l'a drogué ? - Lui-même, madame Naderri. Et pas depuis hier. - Vous insultez mon fils de toxico !! - Je diagnostique, madame. Nuance. - Bien sûr ... est-il réveillé ? - Oui, mais il a l'esprit encore confus et divague dans ses propos. Il parle d'un vieil indien de la jungle, m'a dit l'infirmière. Nous avons retrouvé dans ses affaires d'importantes quantités de drogues, mais il nie catégoriquement toute prise de toxiques, dit être parfaitement sain. Les analyses prouvent le contraire. Positif à beaucoup de saloperies qui traînent dans les bas-quartiers. Rien qui ne peut pas être guéri, madame, je vous rassure tout de suite. - Pourquoi ne m'en a t-il pas parlé ? Je connais bien, ce milieu là, j'aurais pu ... - Je suis médecin urgentiste, pas psychologue. - Nous le trouvions mieux, pourtant ... Il va s'en sortir ? Je veux dire, pour le sevrage ? - Cela va dépendre de vos bonnes dispositions. - Votre prix sera le mien. Mais faîtes que cette information ne circule pas. Cela nuirait à la grande carrière qui l'attend, il a sacrifié tant d'énergie ... - Je répète, cela déprendra de vos bonnes dispositions. - Votre prix sera le mien, j'ai dit.
Puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable.
Toxico. Je n'aime pas ce mot, dépourvu de musicalité. Je préfère penser que je suis un avaleur de brumes ou un cracheur d'amertume. Durant une année entière, je erre entre les murs blancs d'un service médical dédié au sevrage lourd. On me dit qu'il faudra du temps, de l'effort et de l'optimisme pour m'émanciper de la biochimie du rêve. Et si mon observance au traitement se révèle exemplaire, ce n'est pas parce que je me conforme cérémonieusement aux conseils des infirmières. Je dois sortir au plus vite. Pour recommencer, pour revoir Asahinn. Me voilà enfermé dans une chambre austère tandis qu'elle court la ville, tandis qu'il existe d'autres hommes que moi. J'étudie sans relâche pour paradoxalement, abrutir mon esprit. Je sais ce qu'ils veulent entendre, tous. Je connais mon récital sur le bout des doigts, alors je verbalise des projets de bien-pensant tandis qu'à l'intérieur, c'est l'usine à gaz.
De cet interlude, il n'est qu'une leçon à retenir. On peut-être fou, drogué et criminel tant qu'on est discret, éventuellement fortuné. On peut même être égoïste et médecin. On peut être rêveur illuminé et porter la blouse scientifique. Je ne pense pas être un contre-sens humain, juste le chef d’œuvre d'une société qui couronne l'absurde. Les quatres villes cardinales, Nordri, Westri, Sudri et Austri ont perdu la boussole avant moi.
Libre, je reprend mon quotidien là où je l'ai laissé, non sans échapper aux invectives de ma mère que le temps ne bonifie certes pas. Elle prend la poussière, la vieille, ses idées révolutionnaires ne quittent plus la chaleur de ses pantoufles. Nos relations se détériorent, traversent une ère glaciaire. Je sais, je suis un fils ingrat. La pauvresse, qui rencontre quelque difficulté à surmonter son complexe oedipien, s'est démenée pour étouffer la rumeur de mes excès, et je la remercie en me jettant dans les bras d'Asahinn. A ma sortie de cure, celle ci m'attendait dans la voiture, de la super Nova et des étoiles pleins les poches.
Mariés dès l'âge légal, nous formons un couple idéal. Elle provient d'une famille riche, moi aussi, et si des racontars ont couru sur mon dos des suites de mon accident, ils meurent faute d'engrais. Parce que je n'échappe à ces délectables stéréotypes, je déteste ma belle-mère, laquelle continue de me voir comme un camé voué à l'auto-combustion. Je trouve l'image très belle, alors je ne démens pas. Mon cerveau, je continue de le doper par toutes les substances et recours inimaginables, engloutissant mille et une molécules dans la plus grande discrétion. Le soir, je fais l'amour à Asahinn, j'enfume mon esprit à coup de gélules, de rail et d'injection, et me voilà à pied d’œuvre dès potron-minets, prêt à diagnostiquer une schizophrénie paranoïde. J'avoue, au gré des entretiens, je laisse souvent faire mon imagination et mon feeling. C'est à la tête du client ... Patient, pardon.
J'ai trente ans. Les années coulent vite. D'un point de vue extérieur, elles sont mornes, parfaitement monochromes. N'importe qui à ma place, à force de patients plaintifs, d'éternelles rechutes, de décompensations régulières, de cas chroniques s'agglutinant dans la salle d'attente, deviendrait un vague distributeur de médicaments aux allures de médecin délavé. Je ne le suis qu'à moitié. Au fond de mon oeil brille encore une étincelle de fougue, de sarcasme, de défi. Peut-être que j'aime la folie, ou bien que la folie ne me déteste pas trop. Je crois que j'aime entendre, les cris désarticulés de ces fous qui ne sont pas assez discrets. Je crois que ceux qui veulent s'en sortir m'ennuient quand les cas sans avenir avivent de ma passion.
Quand je trouve la vie trop routinière, quand j'ai soif de couleur, de sensations fortes, je replonge dans mes vices et pars chercher Atalaya. Tous les jours, en fait. Tantôt Alpha, sinon TNT avec le café matinal. Le soir, je penche davantage pour la Walkyrie ou la Nova. Mais depuis quelque temps, cela ne me suffit plus. La nuit, à l'heure des couteaux tirés, j'essaie de synthétiser la Silver Fox à partir des légendes qui courent sur elle, travaillant à des alliances complexes de molécules. Mon arsenal thérapeutique m'offre quantité de matière première pour me livrer à ces expériences de chimiste à l'abri des regards indiscrets. Quant à l'avancée de mes recherches, et nonobstant toutes mes petites découvertes intermédiaires, de quoi je me mêle ?
Un toxico, donc. Cependant, une discrétion raffinée et une organisation à toute épreuve laissent ma couverture sociale immaculée. Je présente bien, oui monsieur, bien sûr madame. Je me bourre de traitement correcteur pour pallier les symptômes évidents. On impute mes airs lunaires et mon zèle étrange au caractère naturel du génie mondain, et n'est-il pas trop tard pour le décrier ? Bien sûr que si. Sans drogue dans les veines, je deviens catatonique, mélancolique, incapable d'assumer le tiers de ce j'encaisse présentement. C'est un cercle vicieux, un putain de serpent qui se mord la queue. Lorsque le matin, je prends mes cachets pour le cœur, je me rappelle que mon corps, lui, finira par céder à ce manège dantesque. Ce jour là, mes secrets seront mis à nu et ma réputation salie du poison vert que celui des langues bien pendues.
- Spoiler:
- Allô ? - Dr Naderri, c'est à propos de votre fem... - Ma patiente. Comment va t-elle ? - Elle a passé une nuit très agitée. Nous avons été obligé de lui administrer de puissants sédatifs. Elle a détérioré une bonne partie de la chambre d'isolement dans ses gesticulations. - Regrettable. Je couvrirais les réparations. - Que comptez-vous faire ? - Je prends aussi en charge l'hospitalisation. Laissez là y décanter six mois. - SIX MOIS ? Dans la cellule ? Mais c'est votre fe... - Six mois. La patiente présente un grand risque de passage à l'acte hétéro-agressif. Menaces de mort verbalisées à plusieurs reprises, harcèlement moral sur son époux et violences ... aggravées sur une femme retrouvée au domicile conjugal. - Dr Naderri, vous êtes en train de me dire que vous avez trompé votre épouse ? - De quoi je me mêle ? La fidélité ... est une denrée rare, à mon âge. - Je suis d'accord, docteur, mais pour en arriver à ce stade là ... Comment va l'amante ? - Décédée des suites de ses blessures, justement. Pas de visite autorisées auprès d'Asahinn Naderri, et ce à visée thérapeutique. Surtout pas de sa mère, très invasive dans la vie de sa fille, qui ne fera que jeter de l'huile sur le feu. Seulement son mari, donc moi, qui viendra dans six mois, et qui a entamé les procédures pour devenir le tuteur légal de madame. L'appeler de fait pour tout problème financier. La pauvre quant à elle, n'est plus en mesure de subvenir à ses propres besoins. - ... Bien. - Autre chose ? - Elle refuse de s'alimenter ... - Perfusez-là si ça continue. Et merde.
Ce matin, je fixe la surface de mon café couleur goudron. Le sucre se dilue dans le liquide brûlant, sans résistance. Sur la terrasse, j'aperçois une trouée dans le smog ouverte sur un ciel bleu. Je ressasse. Je ressasse Asahinn, à huis clos à l'hôpital psychiatrique depuis bientôt six mois. La maison est calme, sans elle. Trop calme à mon goût, terriblement silencieuse à mes sens. Je ressasse cette fille qu'elle a retrouvé dans notre lit et estropié. Je ressasse mon père, décédé l'année passée, défenestré du haut de sa tour vertigineuse. Je suis sorti innocenté du procès qui m'accusait de parricide. Les médias ne fouinent plus beaucoup, de mon coté. Les preuves se font rares, chez les minutieux de mon acabit, et puis la société a besoin de ses psychiatres. Une petite capsule noire vole à mes lèvres. La journée commence.
► Asahinn Naderri : Pour le meilleur et pour le pire.
“ Précisions ou informations complémentaires sur votre personnage : Psychiatre toxico qui le vit bien. Comme Roméo se pique de part en part, il a le corps très abîmé. Il souffre également lui-même d'une forme de schizophrénie assez légère, et est persuadé d'avoir une espèce de fissure dans la nuque.
L ' A F T E R “ Nom de l‘avatar : Ben Whishaw.
“ Comment avez-vous connu Walhalla : Mes premiers persos ici ont sombré dans l'oubli, mais on se souvient peut-être de Baptiste Malval !
“ Présence sur le forum : J'ai une vie bien remplie et des muses bipolaires, donc je prônerai l'irrégularité. Mes partenaires seront toujours informés, bien sûr.
* J'ai pompé mes titres dans un texte que j'aime beaucoup : Notre besoin de consolation est impossible à rassassier, de Stig Dagerman.
Dernière édition par Roméo Naderri le Sam 16 Nov 2013 - 15:45, édité 44 fois |
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