Walhalla
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« We live like caged beasts waiting for the day to let the rage free. »
 
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 L'ecarlate des Silences ~Néro~

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Ania Demitryé
    Sirène de Sudri

Ania Demitryé

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MessageSujet: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptySam 21 Sep 2019 - 21:34

Six mois depuis cette Nuit tropicale à Austri et l’épée de Damoclès qui pesait sur Ania et Aya a disparu dans les limbes d’une cassette détruite, d’une soirée d’Alcool et d’abandon. Rien n’a changé et pourtant tout est différent pour la Sirène. Son manque d’affection envers Nordri n’est tempéré que par un plaisir tout personnel qu’elle y prend chaque fois qu’elle y retourne. Sans que l’un ou ne l’autre ne l’ait vraiment décidé et encore moins verbalisé, il semble que chaque fois que l’un se trouve dans la ville de l’autre, les heures s’allongent pour leur permettre de se retrouver. La première fois qu’ils ont échangé une chambre d’hôtel annonyme pour l’antre de l’Avocat, la Fleur des pavés a longuement hésité avant de le rejoindre dans sa villa. La violence de leurs rencontres précédentes est long écho douloureux qui finit par s’espacer sous la douceur de ses baisers. Et Néro n’a pas semblé avoir pareille retenu à la rejoindre dans son appartement lors de rendez vous précédents.

Elle ignore en quoi consiste l’équilibre de sa vie lorsqu’il est à Nordri et ne détaille pas d’avantage ses occupations à Sudri. Ne cherche pas à en connaitre d’avantage sur son quotiden. Ils ne s’appellent pas tous les jours, sont loin d’être en contact régulier. Malgré cela, au fil de mois, si parfois elle prend le temps de se retourner sur les semaines écoulées, c’est rarement plus de trois semaines qu’ils vivent loin de l’autre sans voler une nuit, une soirée ou une après midi. Anamaya a finit par cesser de s’étonner de trouver parfois l’insupportable homme de loi à son réveil ou à son retour d’école. N’interrogeant pas plus sa mère sur ces allées et venues qui aurait été inimaginables il y a peu.

La catin préfère profiter des instants où ses bras retrouvent la folie de ceux de Néro, en faisant abstraction de tout le reste. Refusant de se demander jusqu’où ca va les mener. Il n’y a aucun projets d’avenirs ni d’envie de futur. Deux étoiles dont les orbites se croisent, s’appellent et se repoussent. Angelo voit d’un mauvais œil cette liaison et ne se prive pas de piques et moqueries acérées dont elle refuse de tenir compte. Ils ne font rien de mal. Partageant cette alchimie physique qui ne leur a jamais laissé de repos depuis ces regards croisés en bas d’un hôtel de Sudri. Ania ne perd jamais de vue qu’il ne s’agit que d’une délicieuse parenthèse pour eux. Il finira par rencontrer une Vanne au grès d’un hasard et rejoindra l’élite du Quadra avec une épouse de la plus haute société. De cela, elle n’a aucun doute.

Pourtant, ce matin de novembre, quand son téléphone vibre et qu’un message de Néro l’informe qu’il ne doit retourner à Nordri que le lendemain et qu’il est libre dès midi, il n’y a aucune hésitation de sa part en lui envoyant un simple « Je t’attend ». Ils n’iront pas plus loin que son salon les premières heures, laissant leurs vêtements s’éparpiller dans le bordel ordonné de la jeune femme, étanchant contre la première surface qu’ils trouvent, cette faim sensuelle qui les dévore. Ce n’est que lorsque les rayons du soleil colorent les seize heures qu’ils s’effondrent dans le lit d’Ania. Elle refuse de réfléchir au bien être qu’elle ressent en s’endormant dans ses bras, à la familiarité de son odeur mêlée à la sienne. A la manière dont son corps se love contre le sien, au plaisir si particulier qu’elle éprouve en permettant à ses doigts de serpenter sur son torse encore humide de sueur.

Son réveil est plus brutal. Sous la forme d’un retour de la réalité dans ce délicieux castel d’illusions qu’ils construisent autour d’eux. Il est encore endormi quand Ania ouvre les yeux. Frisson glacial qui danse le long de sa colonne vertébrale quand elle prend conscience de ce qu’elle a presque oublié. Un coup d’œil à sa montre lui indique qu’il est dix-sept heures trente. Largement le temps de se préparer avant vingt heures. Mais impossible pour autant d’esquiver cet impératif. Ses prunelles s’assombrissent quand elles effleurent, intangibles, le corps de Néro a demi découvert par le drap. Une boule d’émotions malvenue qui la traverse tant il est un orphée serein. Sa beauté physique est indéniable, mais elle se surprend à lui préféré les aspérités arrogantes de son caractère. Sur un dernier regard de regret, elle quitte son lit, en essayant de ne pas le déranger. La sagesse voudrait qu’elle s’engouffre dans la douche et disparaisse avant qu’il ne s’éveille. Machinalement, elle ramasse un tee-shirt qui trainait au sol, le passant sur sa nudité. Elle est déjà sur le pas de la porte qui donne à la salle de bain quand elle fait volte face. Bordel, cet homme la rend faible. Bien trop faible. Impossible de retenir un baiser volé à ses lèves au souffle régulier. D’empecher la pulpe de ses doigts de s’emparer de la rondeur de sa joue. D’écarter une mèche sombre qui barre son front. Un murmure qu’elle module, en espérant qu’il n’en percevra rien mais ne parvenant pas pour autant à s’éloigner de lui si facilement.

-Néro, il faut que je me prépare. Je pars d’ici une heure. Mais tu peux rester encore un peu si tu veux. Je risque de rentrer tard, mais on pourra prendre le petit dejeuner ensemble si tu es encore là.

Dors. Dors. Dors. Je te laisserais un mot. Mais dors. Ania a de nouveau arrêté de fumer, tout comme elle ne touche plus une goutte d’alcool depuis la nuit exotique qui a tout boulversé. A cet instant pourtant, l’envie de nicotine est brutale. Celle de l’alcool est plus lancinante, mais l’interdit qu’elle s’est imposé est bien trop ancien et bien trop fort pour qu’elle cède à une envie passagère. Furtivement, la Fille de joie écarte ses mains de lui et se remet debout. Il lui faut une douche. Abandonner sous l’eau brulante les parfums de leurs retrouvailles qui dansent sur sa peau et retrouver un masque familier
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMar 23 Nov 2021 - 1:49

Les paupières closes.

Aveuglé, les mains barrant ses côtés, tous les angles de vue risquant de faire poindre une lumière éblouissante.
Entêté, comme lorsqu’il dévale les marches du palais de justice, seul ou accompagné d’une cliente affolée par la presse leur cavalant après, malgré les gorilles de la sécurité essayant tant bien que mal de faire leur travail.
Envoûté, par un destin programmé pour briller, pour avancer et franchir sommet après sommet ; les quelques fautes commises, les procès ratés, les interviews tendues, les dossiers volés, ne sont que de maigres retards, incapables d’impacter bien sérieusement une carrière aussi prometteuse.

Il se rue vers un futur sans aucune garantie, avec la furie de l’homme condamné à réussir, à rester dans les clous de l’avenir que certains lui prêtent, lui vantent, sur lequel d’autres voudraient le voir trébucher pour ne jamais s’en relever. Il a trop misé. Trop d’enjeux menacent et l’empêchent d’envisager un échec définitif. Sa fierté, son orgueil, son train de vie, les regards des siens qui, même de loin, scrutent au travers des dernières pages d’une presse papier rare, au travers des encarts télévisuels, de toute forme de média susceptible de chanter les prouesses de l’antihéros chéri du gratin, haï des moraux : c’est tout cela qui empêche ses chevilles de trembler, ses genoux de céder. Il marche, courbé contre les bourrasques qui broient tous les imprudents, tous ceux dont le pied pas assez sûr dérape, glisse sur le marbre. La chute est si dure que beaucoup ne s’en relèveraient pas. Lui-même ne serait pas sûr de faire partie des plus acharnés, si une pierre bien lancée était suffisamment vicieuse pour toucher le point sensible, un talon d’Achille capable de saper tous ses efforts et de noyer ses sacrifices vaillamment accomplis.

Les paupières closes.

C’est une fuite en avant, un besoin irrépressible d’en vouloir toujours plus ; il se fout des montagnes d’or et de Wyrds, seule la reconnaissance absolue de ses pairs lui importe, seul le plaisir de triompher dans un prétoire, d’entendre sa parole résonner avec la force des plus hauts sophistes d’autrefois, capable de faire plier un magistrat, de tordre un jury par sa seule volonté, une poigne d’enfant terrible incapable de voir que ce marathon sans repos le mènera à sa perte, s’il ne prend pas plus garde encore.
Il n’est pas aveugle qu’en ce qui concerne sa carrière d’étoile montante du droit nordrite. Au-delà du succès, d’une gloire peut-être éphémère, des quelques soirées mondaines auxquelles il s’astreint, des échanges avec une poignée des plus grands de ce monde, c’est un point essentiel de son existence qui, depuis plusieurs mois maintenant, braque son attention, une part de sa concentration, de son énergie, tout en se greffant aux nombreux éléments capables, tôt ou tard, de le faire basculer dans l’abysse opposé à la pente qu’il gravit.

Ania Demitryé a plié, elle aussi. Il n’en a éprouvé aucune satisfaction malsaine, déplacée. Simplement la gratitude, le soulagement envers ce qui apparaissait à ses yeux comme une évidence totale. Il ne paierait plus cette femme capable de ravir son sommeil et de rendre enragés ses tourments et ses angoisses.
Il voulait cette sirène convoitée pour lui seul, sans avoir la sensation de se complaire dans un rôle qui ne lui convenait plus guère. C’est tant mieux. Ania et lui étaient devenus de bien piètres acteurs à ce jeu de dupes qui n’aurait plus pu convaincre personne, et certainement pas eux. L’ouragan d’Austri est paradoxalement venu éteindre les feux de sa propre tempête intérieure, et si chaque jour, chaque nuit passés avec elle sont comptés, calés minutieusement entre deux rendez-vous, entre deux plaidoiries, entre deux nuits de solitude, ils ont à leur mesure permis de combler un peu de cette crevasse pareille à celle qui transperce les glaciers, leur fond d’une couleur sublime, mais d’une froideur impitoyable. Ania est venue allumer quelques flammes pour faire revenir l’eau mouvante dans les cavernes de sa psyché, réveillant son corps endormi, faisant refleurir des sourires sincères aux commissures de ses lèvres, même si ses sarcasmes habituels ne demeurent jamais très loin. Ania, par les combats de leurs corps échauffés l’un contre l’autre, est venue déposer une paix éphémère à ses pieds dont il s’est emparé des pans, cherchant à les tirer à lui, à protéger au moins une part de lui de ses désillusions coutumières, de sa volonté de mépriser tout ce qu’il ne pouvait pas haïr.

Les paupières closes.
Même s’il sait qu’un jour, il devra les rouvrir.
Il ignorait avant ce jour, ce jour délicieux de retrouvailles supplémentaires à Sudri, quand le couperet s’abattrait : confiant, priant pour le repousser au fond d’un horizon si lointain qu’il s’en est emmuré dans un déni affolant. Une part de lui savait. L’autre…

L’autre s’éveille, désormais.
S’éveille au cœur de draps qui ne sont pas les siens.
Ils ont somnolé, comme souvent après l’amour. Il aime ces fins d’après-midi paresseuses. Ania lui a également appris cela. Tout doucement, par petites touches, elle a peu à peu démoli des cadres et des tableaux qu’il croyait inviolables. Au travers d’une foule de détails à l’apparence insignifiante, il a perdu un peu de sa raideur, des manies et tocs parfois absurdes qu’il souhaitait conserver et protéger dans un quotidien aux horaires souvent bordéliques, son emploi du temps ne lui permettant jamais vraiment de savoir précisément à quelle heure il pouvait retourner s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Ania a brisé un peu de sa fichue et intransigeante discipline. Elle lui a appris qu’il n’y avait parfois pas d’heure pour prendre une douche sans raison valable, pas d'heure pour faire l’amour, pas d'heure pour faire un somme, pour manger à peu près tout et n’importe quoi (toujours en petite quantité pour elle, dans les limites d’un raisonnable qu’il trouve, à l’inverse, particulièrement absurde), et que commander traiteur est bien sûr simple comme bonjour. En le détachant de sa rigidité maniaque, elle a soufflé sur lui comme un parfum de vacances, d’exotisme, d’ailleurs et de bouleversement sans heurts. Rien ne pourrait de toute façon rivaliser face aux ravages érotiques qu’elle fait s’abattre sur lui et auxquels il s’offre : terre ne cherchant que la destruction nécessaire, l’annihilation pour mieux inviter la reconstruction.

Il entend un murmure.
Conjugué au baiser, à la caresse tendre des doigts contre son front, c’est son corps qui s’extirpe de la brume, qui s’étire dans un bâillement à peine étouffé. L’avocat est fatigué. Les dernières semaines ont été rudes. Ses étreintes avec Ania n’ayant elles non plus aucun moyen de l’épargner, il peine à s'ébrouer et rouvre les yeux pour trouver le lit vide, et la place à ses côtés à peine tiède. Quelques minutes depuis que la putain a quitté la chambre, et il se redresse sur ses bras, poussant dans un frisson dû à des nuits aux heures trop courtes. Il frotte machinalement sa peau, se relève en titubant et cherche aussitôt de quoi couvrir sa nudité. Il ne s’est jamais débarrassé de sa pudeur naturelle à ses côtés, et c’est dans la petite réserve d’habits qu’il a pris l’habitude de laisser ici au cas où qu’il enfile un boxer et un jean tombant lâchement sur ses hanches, bien loin de ses mises soignées et vêtu de ses costumes hors de prix. Sa chevelure en bataille finit d’accorder une touche juvénile à Nero Uffingham, qui glisse ses doigts dans les mèches d’ébène dans l’espoir de les rendre de nouveau dociles, tandis que ses pieds nus frottent à peine le sol, à la recherche de son amante.

« Ania… ? »

L’eau de la douche qui s’entend depuis l’autre côté de la porte. Timidement, respectueux de sa vie privée, il se glisse à l’intérieur, ne cherchant pas forcément à poser les yeux sur elle, mais attiré par les vapeurs de brume chaude qui caresse un corps souvent en proie à un froid intérieur qu’il n’a jamais trouvé naturel. Son cerveau encore comateux tandis qu’elle lui chuchotait la promesse de son départ, il n’a pas la moindre idée de la catastrophe qui s’apprête à leur tomber sur la tronche, le déchirement qui s’annonce, s’apprête à détruire leur harmonie inespérée.

« Pourquoi tu m’as pas réveillé… ? »

Reproche absent. Sourire dans la voix.

« T’as faim… ? Tu veux que j’te cuisine un truc ? »

À son rythme, il tente à son tour de la sortir de ses mauvaises habitudes de luxe, de lui donner goût à cette cuisine toute équipée à laquelle elle ne touche jamais. Ses tentatives n’ont pas encore été couronnées de succès, mais il ne se décourage pas, et cette inimitié pour la préparation de toute nourriture digne de ce nom suscite bien davantage son affection que son agacement. Il s’avoue rarement en son for intérieur, que ces propositions presque étranges pour deux êtres comme eux, apportent avec elles des allures de normalité qui ne le laissent pas indifférent, qui l’apaisent et le rassurent là où il ne croyait pas avoir besoin d’être réconforté.


Dernière édition par Nero S.H. Uffingham le Lun 24 Jan 2022 - 5:19, édité 1 fois
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyDim 23 Jan 2022 - 18:43

Le rêve s’éteint sous les gouttes d’eau de la douche qui frappe son corps nu. Elle a trop dormi, s’est enivrée d'insouciance et du parfum de sa peau contre la sienne. De la saveur languide de ses baisers. De la douceur de son regard plongé dans le sien. Ania l’a caressé et l’a conquis, heure après heure, jusqu’à en oublier l’inévitable. Sous le rideau brûlant, elle se souvient pourquoi elle ne voulait pas d’homme dans sa vie. Pas de lui dans sa vie. Sa vie sale et moite. Sa vie dédiée aux chambres d'hôtels qui sont toujours sordides. A des heures de vices où son corps trouve toujours son compte et son coeur se délabre. Il a réconcilié les deux et la chute promet de la fracasser.

Nero dort dans son lit et elle doit le quitter pour en rejoindre un autre. Peu à peu, son armure d’indifférence se claquemure autour d’elle. Le client qu’elle va retrouver n’est pas le pire, n’est pas le meilleur. C’est loin d'être le premier en six mois. Ne sera pas le dernier.  L’espoir enfantin qu’il reste dans le sommeil et lui évite le poids d’une culpabilité qu’elle aurait aimé ne jamais ressentir. La putain ne creuse pas la brume de ses émotions pour l’Avocat. Surtout pas.  Il est de passage dans son existence qu’il dérègle. Il est destiné à se souvenir. A se souvenir que la femme auprès de qui il s’endort n’est pas de son monde. Est née dans la fange et ne l’a pas quitté malgré les ors dont elle se pare. Il finira par rencontrer celle qu’il épousera et son pédigrée sera autrement plus aristocratique qu’une courtisane née dans les bas-fonds de Sudri.

La porte de la salle de bain qui s’ouvre en douceur, elle ne l’entend pas immédiatement, c’est le son de sa voix qui perce le bruit de l’eau. Ania se retourne, la vapeur tiède dans la pièce n’est pas assez profonde pour l'empêcher de le voir. De l’admirer. Elle l’aime ainsi, torse nu et en jean, les cheveux dans le désordre de leurs joutes amoureuses et de sa somnolence. Au creux de son ventre, des palpitations d'appréhension. Il ne mérite pas le mensonge pourtant, celui-ci serait bien plus clément. Il a les traits juvéniles de celui qu’elle a aimé il y a longtemps avant de l’expulser de ses rêves. Il n’y avait plus de place  pour les rêves, dans la rue. Elle n’arrive pas à lui sourire. Le mélangeur qu’elle presse pour anéantir la cascade. Une main attrape la serviette qu’elle a posée à portée en prévision. Ses pieds quittent l’espace de la douche pour retrouver le carrelage légèrement plus frais. -Tu dormais si bien, je ne voulais pas te déranger. Anamaya est à l’école et elle dort chez une amie. Tu pouvais continuer à te reposer.

Des mots vrais, qui ne déguisent aucun mensonge mais qui travestissent la laideur du dehors. Une paume encore humide s'attarde sur un flanc avant de remonter sur son visage. En d’autres circonstances, elle l’aurait invité à la rejoindre, à profiter d’une douche complice, propice à explorer des nouveaux plaisirs. Un baiser, léger, teinté d’un goût de cendre. Elle ne peut s’autoriser à prendre plus. Si ses lèvres s’interdisent à ses clients, ce serait souiller le goût de sa bouche que se perdre dans une étreinte plus profonde. Elle a le regard un peu fuyant, alors qu’elle sèche sommairement ses longs cheveux sombres. Qu’elle remet de la distance entre eux. L’idée de manger maintenant m'écoeure. Il lui faudra de longues heures avant de supporter la perspective de la moindre nourriture.  Même un café serait de trop -Non, c’est adorable mais je n’ai pas faim.

Il prend soin d’elle, attention inenvisageable quelques mois plus tôt et à laquelle elle commence à s’habituer, à y prendre plaisir. Depuis l’Ouragan, ils se sont peu disputés, ils ont trouvé un équilibre étrange et merveilleux à laquelle Ania croyait n’avoir jamais droit. Elle passe une main nerveuse dans ses mèches à peine humide. C’est difficile d’avoir un regard sur ses préparatifs. Jamais de témoins. Ses gestes sont contraints. N’ont rien de naturels. Elle l’évite sans y toucher. Crème hydratante velouté sur ses jambes, sur sa poitrine, sur son ventre. Elle paraît si froide. Il faut qu’elle parle. Une courte inspiration. Elle passe dans sa chambre, sachant qu’il va probablement la suivre. Elle n’a pas envie de réfléchir à sa tenue, à ses dessous choisit spécialement pour son rendez-vous alors qu’il en retiendra tous les détails. C’est impudique, obscène. Nero ne devrait pas subir cela.  Ania n’arrive pas à ouvrir la moindre penderie ou tiroir. Reste là, immobile face au grand miroir qui lui renvoie un reflet mensonger.  Ressers les pans de la serviette étroitement autour d’elle. Évoluer nue devant lui n’a jamais été un obstacle, bien au contraire. Elle joue de ses charmes et  de son impudeur à la moindre occasion. En cette fin d'après-midi, cela lui est impossible. -Je vais être absente toute la soirée -Son ton de voix est neutre et composé. Sans qu’il ne vacille ou ne tremble. La pute en est presque fière. Elle n’a pas honte de ce qu’elle va faire ce soir, ne se pose plus de question morale. C’est autre chose. C’est différent. Lié à la manière dont Néro va réagir. Ils n’en ont jamais parlé, sans doute  son amant a-t-il volontairement détourné ses pensées de ses occupations. Entre Savoir et être face à la Réalité… la violence est sans appel. -Je reviens vers 5h ou 6h, demain matin. -Si elle ne commence pas à s’activer un peu, elle sera en retard. Faute professionnelle de débutante. -Je pars d’ici trois quart d’heure. Mais tu peux rester, si tu veux qu'on déjeune ensemble et que je te dépose à l'heliport après… -Sur la fin, son timbre est un peu plus blanc. Elle a fini par se retourner vers lui. Il n’est pas idiot. Il n’aura pas besoin d’un dessin. Tout comme elle sait qu’il ne sera pas présent à son retour.
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyLun 24 Jan 2022 - 5:52

Il n’est pas prêt.
Il ne comprend pas à quel point la douleur s’apprête à lui exploser dans les entrailles.
Son sourire s’attarde, presque tendre à la voir ainsi nimbée de vapeur et de perles d’eau chaude.

Sirène.

Il ne s’est qu’à peine étonné de ne pas la voir l’inviter à la rejoindre. Ce n’est pas dans ses habitudes, mais il n’est lui-même pas homme à notifier les habitudes. Sa vie, le rythme de son quotidien et celui d’Ania ne sont pas calibrés pour cela. Ils ne sont pas un couple lambda. Ils n’ont rien de banal, rien de trivial. Chacun à leur mesure, ils taillent leur route, une voie si particulière pour l’un comme pour l’autre, et toutes deux ne sont régies par aucune règle éternelle, horaire fixe, programme déterminé. Il n’aime pas la routine. Il n’aime pas l’attendu. Il aime ses initiatives troublantes, la façon dont elle le dévisage comme s’il était le dernier homme sur terre, ce qu’il éprouve lorsqu’elle le surplombe, allongés dans un lit ou de ses talons vertigineux. Elle est la Femme comme il en a toujours rêvé sans oser croire auparavant pouvoir, un jour, toucher du doigt une telle fantaisie. Encore aujourd’hui, il ne parvient pas à croire que sa pugnacité a payé. La fortune sourit aux audacieux, mais sa fortune a lui a systématiquement pris un malin plaisir à débouter ses propres attentes, comme toujours. Le chemin sera encore long, mais les pavés déjà posés le comblent d’une émotion dont il ne se remet jamais vraiment. Elle est là, toujours, le surprenant au moment où il s’y attend le moins. Dans son bureau de Nordri, dans une chambre d’hôtel d’Austri, derrière la porte de l’appartement à Sudri, juste avant que ses traits ne lui apparaissent. Comme s’il n’avait jamais été vraiment vivant avant cela. Comment a-t-il fait pour perdurer jusqu’alors, tandis qu’elle ne lui était pas encore apparue ? Lui qui conspuait les mièvreries de ses collègues épris entre deux pauses café, le voilà pris au piège à son tour. Il n’en a pas honte. Il sait, au fond de lui, que malgré le danger de nouer une telle relation, son être en a besoin. Il ne s’est jamais autorisé une trêve comme celle-ci. Qu’importe si Ania Demitryé est censée en porter le flambeau. Jamais il ne la répudierait pour cette profession qu’elle continue d’exercer. Et pourtant… certaines limites commencent à se faire sentir. Certaines choses ne passent pas. Comme ce fameux regard fuyant, ce refus de le toucher plus que ces quelques effleurements, ce baiser à peine dérobé. Il la suit des yeux, repère aussitôt la superficialité de ses gestes nés d’une gêne qui ne lui est pas coutumière.

Évidemment qu’il la suit. Lentement, il rebrousse chemin vers la chambre, marchant dans les traces humides que la putain abandonne derrière elle. Il attend le verdict qu’il a déjà deviné. Il ne veut pas y croire. Il ne veut pas croire qu’elle s’apprête à les plonger dans cette prochaine tourmente.  

-Je vais être absente toute la soirée.

Le froid le mord avec plus de hargne.
Elle l’a dit.
Elle va le faire.
Elle va le laisser seul, et parfaitement au courant de ses activités nocturnes, sans y mettre plus de sentiments.
Le choc est rude.
Il a beau savoir, et ses œillères rester rigides, il y avait une éternité qu’elle ne l’avait pas confronté aussi violemment à cette réalité.
À plusieurs reprises, sa bouche menace de s’entrouvrir. Il doit parler. Il doit lui dire ce qui lui pèse sur le cœur. Ce qui le tue lentement. Une tension abominable s’est faufilée dans son dos déjà sujet aux douleurs. Il serre les dents, réfrène un sifflement surpris. En lieu et place, et malgré le pathétisme de sa demande, c’est bien lui qui parvient à articuler :

« N’y va pas. »

Il s’approche, une fois qu’elle lui a fait face. Ses mains trouvent aussitôt ses épaules, et ses iris polaires cherchent ceux de la jeune femme au fond desquels il redoute toujours de lire de nouveau les pics d’une cruauté dont il ne veut plus. « S’il te plaît, Ania. Tu n’es pas obligée d’y aller. Tu n’es pas obligée d’y aller. »

S’il te plaît.

Il devrait se montrer plus fort, plus solide. Il sait le faire. Il sait arborer son arrogance pour protéger son orgueil. L’exercice n’est plus une gageure depuis longtemps. Mais pas ce soir. Pas maintenant. Il prend une grande inspiration afin de lutter contre l’oppression de ses poumons en manque d’air. « Je viens d’arriver… Je repars demain matin. Je croyais que toi et moi… Je pensais qu’on passerait la nuit ensemble. Ania… » Ses phalanges pressent plus fort la chair douce, tandis qu’un sourire à la détresse perceptible le trahit aux commissures. « Tu vas pas me faire ça, hein… ? »

S’il te plaît.

Il ne veut pas passer la nuit seul à Sudri, sans elle.
Il ne dormira pas.
Il se brûlera la gorge à grand renfort d’alcool à la qualité moyenne, et de clopes abrasives.
Il se plantera sur cette terrasse sublime en se demandant depuis quel minuscule carré de lumière la femme qu’il aime gémit et se donne à un client parmi tant d’autres.
Et après ?

Il ne peut plus.
Le déni s’est envolé. Il réalise, maintenant, que quelque chose s’est brisé en lui. Sa seule volonté ne suffira pas.

« Tu n’en as pas besoin. Reste avec moi. On fera ce que tu voudras, mais reste avec moi. »
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyLun 24 Jan 2022 - 11:40

Elle s’apprête à briser d’un coup de marteau sévère l’esquisse de sérénité qu’ils sont en train de construire. Ania, avant Lui, ignorait qu’elle pouvait prendre plaisir à des pépites de simplicité. Le quotidien des courses avec lui, de voler un baiser à un coin de rue, de se rejoindre pour un restaurant après une de ses journées de plaidoiries, de découvrir Nordri sous une autre facette, simplement pour le plaisir qu’il éprouve à attirer son attention sur un détail précis qu’elle n’aurait jamais vu sans lui. Le voir cuisiner pour elle et chercher par des moyens absolument déloyaux à fracasser cette concentration qu’il est capable d'insuffler dans la moindre de ses tâches. Être le témoin privilégié de ses talents d’orateur et sentir son cœur battre plus vite à un clin d'œil secret lorsqu’il est occupé. La putain goutait à un bonheur printanier et n’en avait pas conscience. Se contentant de le Vivre et de s’épanouir à ses côtés. Son corps presque trop anguleux de ses privations volontaires s’est arrondi légèrement, adouci, comme malgré elle. Si parfois, elle gronde Nero pour ses courbes à peine plus pleines, elle ne peut nier qu’elle se trouve belle, au-delà de cette beauté froide qui est la sienne depuis l’enfance. En harmonie.

Cette souffrance plus abrupte est le prix à payer de son inconscience et elle l’avait oublié. Avait refusé d’y songer, certaine de pouvoir jongler avec les deux moitiés de son existence sans qu’elles n’entrent en collision. Après tout, ce n’est pas comme si son amant ignorait la manière dont elle gagne ses Wyrds. Il n’y a pas de tromperie, juste un silence, une couverture étouffante. La Sylphide n’en parle pas, il ne questionne pas. Dans l’absence de paroles franches, l’aigle de son regard qui ne manque rien de ses gestes. Il n’épie pas, il ne pille pas. Néanmoins, Ania ressent différemment son attention en cette fin d'après-midi. Devine les questions qui commencent à prendre forme, il est trop intelligent pour ne pas Douter. Tenir sa langue plus longuement serait criminel, encore plus cruel. Ou peut-être se trompe t’elle? Elle ignore quel est le chemin qui sera le plus dénué de ronces. Alors elle met fin à cette tension qui montait en eux.

Une petite phrase qui est presque anodine. Un regard océan qui continue de se dérober. Elle arrache toute possibilité d’illusions. Il se rapproche dans la chambre, d’elle, sans le voir vraiment, sa peau au diapason de la sienne. S’écarter serait une gifle alors elle ne recule pas plus. Leurs respirations se heurtent sous le poids de ceux qu’ils sont. Malgré elle, sa tête se tourne vers lui, lit le coucher de soleil dans ses prunelles et la peine qui le poignarde. Peine et tristesse dont elle est responsable. L’arrogance, la colère facile de Néro se taisent. Reculent dans la douleur. C’est pire, cette souffrance qui les fragilise. Ania n’avait pas réalisé à quel point leur relation avait changé, combien camper sur des positions rageuses appartient à un passé révolu sans qu’elle ne l’ait froidement décidé.

Ses mains sur ses épaules encore parsemées de gouttelettes d’eau, la serviette retenue sous ses bras autour de sa poitrine. Elle relève la tête vers lui et il n’y a rien d’assassin dans sa posture ou son expression. Ania surnage à peine dans l’humanité déchirée de son avocat qui ne croit plus en rien. Une main un peu trop froide se dépose sur la taille masculine, juste au-dessus de la ceinture lâche de son jean. -J’avais oublié, -balbutie-t-elle presque. Ses paupières se ferment pour se rouvrir. Elle a besoin d’éclaircir un point. Qu’il n’y ait pas de quiproquo. -J’avais oublié ce rendez vous, ce n’était pas un plan foireux de ma part. -Ce n’était pas volontaire. Elle ne les a pas placés délibérément dans cette situation, pas  plus qu’elle n’a cherché à le manipuler. Il doit la croire, au moins sur ce point. Pour la première fois, elle se retrouve à vouloir préserver cette bulle qui n’appartient qu’à eux.  Le temps que Nero leur accordera.

Il a tort. Elle ne peut pas ne pas y aller. Il n’a pas connaissance de l’étendue de ses magouilles. Ania n’a pas les mains propres. Depuis des années, certains de ses clients, elle ne les accepte ni pour leur portefeuille ni comme moyen de grimper dans l’échelle sociale. Ceux là sont si minables qu’elle ne devrait pas leur accorder une bribe d'intérêt. En apparences.  Ce soir, son client est un régulier, un homme qu’elle cultive depuis plusieurs mois en prévision de ce moment, il aurait pu arriver plus tôt ou plus tard, c’est cette nuit. C’est un scientifique de moyen échelon. Mais avec son équipe, il a développé une nouvelle puce neurochirurgicale qui permettrait d'atténuer à long terme les capacités d’un Ase, laissant derrière certains déficits intellectuels. Une broutille pour certaines couches de la société, prêtes à financer l’avancée de telles recherches . Un gang du District 3 est intéressé par la technologie depuis le début. Elle est payée grassement pour mettre la main dessus ou “convaincre” son client d’en acquérir une copie. Le moyen est à son choix. Cependant, l’échec aura des conséquences lourdes. Elle refuse d’avoir des dettes envers ce genre de type. Cela ne se paie jamais qu' en Wyrds. La putain n’a pas d’affiliation et refuse ce genre de laisse. -Je suis désolée, je peux pas annuler, sinon je l’aurais fait. -C’est dur de se montrer inflexible, dur de leur imposer ce refus. Elle n’a pas le droit de céder à la promesse de tendresse qu’il lui offre. Qu’est ce qu’il en sera dans quelques mois quand il s’éclipsera pour retrouver le fleuve deja creusé de sa vie et dans lequel elle n’etait qu’une folle cascade? Que sa propre existence sera déracinée et ses efforts pour arriver au pinacle de la société Sudrite réduits à néant à cause de sentiments? Elle n’a pas le luxe d’avoir des sentiments. Néanmoins, elle ne parvient pas à les écraser. Rien n’est simple et chacun des mots de Néro est une piqûre qui l’affaiblit.

Si la pression de ses mains devient plus ferme, elle n’est pas blessante. Il ne broie pas, il n'abîme pas. Il tente de la retenir à lui. De ne pas le condamner à une nuit malsaine et tourmentée.

-Je croyais aussi que j’étais libre cette nuit. Je n'avais pas prévu de la passer ailleurs que dans tes bras, cela ne se reproduira plus, il n’y aura plus jamais de problèmes comme ça. Je suis désolée, je voulais pas t’infliger ça, je reviens aussi vite que possible. Son dos se crispe sèchement. Essaie d'atténuer la dureté de sa position. De ne pas creuser de fossé entre eux. Poignée de sable qui lui file entre les mains. Elle va le perdre, elle n'y est pas prête. Pas après tant de déchirement entre eux. Pas si vite. -Si tu préfères rentrer à Nordri, je comprendrais.- Comme s' il ne s’agissait que d’une question de location physique, elle n’est pas aussi naïve. Le démon s’est échappé hors de la boîte. C’est à son tour de l’enlacer. Comme si en dessinant un demain plus languide et qui n'appartiendrait qu'à eux qu’à lui, elle peut atténuer la violence de ces heures séparées. Son bras droit se referme sur sa taille et son front vient contre le sien. -je te promet de rattraper ça. Je viendrais à Nordri quelques jours. Avec Maya, si ça te convient. Elle est bientôt en vacances, on aura du temps, tous les trois. Ça ne me dérange pas si tu travailles au Cos en journée.

C'est à son tour de vaciller. De craindre son caractère qui ne compromise pas ou si peu. S'il te plait. S'il te plait.
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMar 10 Mai 2022 - 5:02

J’avais oublié.

Quelque chose finit de se craqueler en lui. Il peut l’entendre, le granit qui se déchire sous le coup de masse, sous le séisme d’une magnitude impossible qui broie sans scrupules les plaques tectoniques.

J’avais oublié.

Elle n’est pas la première à provoquer ce séisme. Avant elle, un autre avait pour habitude de prononcer avec un naturel déconcertant, une mauvaise foi absolue ou un aplomb indécrottable ce genre de saillies difficiles à encaisser, pour le cœur d’un enfant. Pour tous ces rendez-vous manqués. Pour tous les anniversaires ou les dates importantes amnésiés. Pour les occasions volontairement mises de côté.

Altan Uffingham lui aussi, avait oublié.
Il n’y avait pas souvent de la place, pour ce gosse ingrat et compliqué, dans l’emploi du temps étrange et mystérieux de ce père déifié. Chaque fois qu’il pense avoir surmonté la douleur occasionnée par ces piques assassines, son géniteur parvient systématiquement à le mettre à terre, quoi qu'il en coûte. Il en a pris l’habitude, et se contente de fuir les confrontations autant que son devoir filial le lui permet. Il ne songeait pas, toutefois, qu’Ania Demitryé aussi pourrait le clouer au même pilori, sans même s’en rendre compte. Alors, si dans un premier temps il crève de l’envie de lui jeter au visage sa méfiance (Je ne te crois pas), c’est un état de fait bien plus abominable qui se dessine sous l’ombre de son front soucieux. Elle a oublié. Elle a réellement oublié.

Elle s’approche, l’enrobe d’une douceur veloutée à laquelle il ne peut se montrer sensible. Il se hait, pour sentir son monde, ses convictions récemment acquises, s’effondrer une fois de plus. Il tangue à peine, malléable quand le bras féminin l’enlace et que ses cils effleurent les siens. Comme sonné, hébété, il perçoit sans bien les comprendre les propositions absurdes d’Ania, pour l’avenir. Un avenir qui lui paraît inaccessible, hors de portée. Un avenir qui n’existe pas dans les cavités déjà creusées par sa mémoire pour plus tard, puisque l’impact présent en détruit instantanément toutes les fondations. À la place, c’est un cocon d’angoisse qui prend forme, tissé par un ver vicieux ou un arachnide à la volonté inquiétante. Son estomac vide se creuse, les parois se repliant douloureusement sur elles-mêmes, quand les murs eux se rapprochent et menacent de l’avaler tout entier. Il étouffe.

Il se dégage, sans gestes brusques, mais avec une fermeté ne souffrant d'aucune résistance. Il reprend les épaules de la putain pour l’écarter de lui, reculant d’un pas en cherchant à happer l’air. Sans la regarder. Il ne peut pas la regarder. Il se détourne, ne lui offrant plus son profil qu’aux trois quarts, et par mégarde, ses prunelles azurées s’échouent sur les draps défaits, témoins récents et muets de leurs étreintes affectueuses. Ne restera-t-il donc que cela, sans cesse ? Un peu de coton froissé, dont la chaleur emmagasinée s’échappe si vite, une fois les corps enlevés ? Leur odeur vite masquée par le temps, la poussière, les tourbillons d’eau mousseuse d’une machine dévorant les stigmates de l’amour pour rendre la copie impeccable ? Nette. Lisse. Sans émotions. Exactement comme la coupure que lui inflige Ania. Une de plus. La vue de ces draps, aussi ridicule soit-elle, ne peut que le conforter dans cette unique certitude : il ne peut pas rester là. Pas sans elle. Pas maintenant.

Il ne sait pas comment il doit réagir.
La tentation de céder à l’ire est puissante, mais l’avocat n’est pas stupide. Il a appris de leurs échanges passés : une fois lancé sur le chemin de la colère, il est aisé de voir se profiler une sorte de non-retour dont il ne veut pas, encore, avoir à cicatriser. Et cependant, comment courber l’échine ? Comment rester digne, conserver une ultime part d’ego et d’orgueil, quand la femme qu’on aime s’en va tendre ses reins au premier bourgeois venu ?

« Pourquoi… ? » La tension et la contrariété sont si fortes qu’une pointe douloureuse vient aussitôt vriller sa tempe. « Pourquoi est-ce que tu ne peux pas annuler ? » Cette fois, le jeune homme se force, s’oblige à redresser la tête. Il la fixe. Ses iris se noient dans les siens. Littéralement. « Qui est-ce ? Un Norne ? Un chef de gang ? Je veux savoir. Je veux savoir ce qui te rend incapable de reporter ce putain de rendez-vous. » Son timbre a tremblé, sur l’injure en guise de ponctuation. Une raideur dangereuse est venue habiter sa nuque. Le mal-être est total. Il devrait se rhabiller. Se hâter de récupérer les quelques affaires déposées là, et se débrouiller pour rentrer à Nordri. Passer la nuit ailleurs. Crécher chez Ysian. Trouver une bonne raison pour ne pas céder à cette furie destructrice qui fait palpiter son myocarde et pulser ses veines. « Quand est-ce que tu arrêteras ? »

La question est tombée comme un couperet. Il guette le mensonge, au fond des orbes de la fleur des pavés. Il ne supporterait pas la moindre bribe de parjure, ce soir-là.

« Quand est-ce que tu arrêteras de te vendre ? Tu as amassé plus d’argent que tu ne pourras jamais en dépenser. Ta fille est en sécurité. Alors… Pourquoi est-ce que tu continues de faire ça ? » De nous faire ça. Il doit rester solide. Debout. Il ne peut pas se permettre de chanceler maintenant, quand il tente une fois encore, brisé par avance : « Ça ne veut rien dire, pour toi ? Toi et moi… ça fait un moment qu’on… je croyais que tu voulais commencer à construire quelque chose. Que tu avais réfléchi à l'idée d'en finir, avec cette merde. Alors pourquoi est-ce que tu continues encore ? »


Dernière édition par Nero S.H. Uffingham le Ven 14 Oct 2022 - 5:37, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyDim 7 Aoû 2022 - 22:27

Elle plante un couteau d’argent dans des blessures d’enfance dont elle n’a pas conscience.

Ania voit simplement le regard océan qui se voile sous le coup, celui qu’elle porte et qu’elle ne désirait pas délivrer. La pute découvre qu’elle a mal de la douleur qu’elle inflige. Ce n’est pas une empathie dont elle est coutumière, son ventre se contracte et se creuse sous des vagues âpres et impitoyables, celles qu’elle fait subir à son amant. Elle ignorait que l’on pouvait être déchiré à ce point après avoir partagé des instants si tendres. Refuse encore l’évidence des sentiments partagés et bafoués dans cette sensation qu’elle est en train de tout perdre, de le perdre lui. C’est de sa faute. Cette situation, elle en est responsable. Culpabilité qui s’installe. Elle n’aurait pas dû rêver, à lui, à ces liens qui se sont tissés dans les silences de leurs corps.

Elle en devient maladroite, malhabile, comme si sa science des hommes la délaisse brusquement pour n’abandonner dans son sillage que des ruines. Bien sûr que le prendre dans ses bras à cet instant est le mauvais mouvement. Bien sûr qu’il n’a pas envie de sentir une étreinte alors qu’elle lui annonce qu’elle rejoint un autre lit. Elle babille, se noie, s’enfonce dans des sables mouvants en évoquant un plus tard, un demain. Elle a conscience pourtant, à mesure que les mots s’écoulent, combien ils sonnent vides. Combien ils ne peuvent adoucir la violence de ce maintenant qui étouffe tout Plus tard. La catin se tait, un peu trop tard, le cœur pulsant d’un malaise qui lui écrase la gorge.

Elle ne sait pas comment rattraper cela, comment éviter qu’il ne s’éloigne d’elle. Un murmure vicieux d’une voix intérieure cruelle lui susurre que c’est mieux comme cela. Pour lui, il ne mérite pas d’un tel boulet dans sa vie. Pour elle, moins de désillusions.  Elle devrait savoir où est sa place, pourtant! La leçon est en train de s’apprendre et la réalité retrouve son poids d’enclume. Elle se passe une main frémissante sur le visage, tente de ne pas succomber à cette facilité vénéneuse.

Ania ne le retient pas quand il se dégage de son étreinte vaporeuse. Un tremblement devant ce rejet programmé, qu’elle aurait dû anticipé. Elle a grandi, la fleur de sudri. Elle a suffisamment grandi pour ne pas le retenir. Pour ne pas forcer ses bras autour de sa taille. Pour comprendre qu’il a besoin de prendre ses distances et ne pas changer l’appartement en champ de bataille. C’est dur, de ne plus le toucher. Mais elle apprend à le respecter. A ne pas le bousculer. La sensation de vide la dévore. Une épaule trouve appuie sur la première surface qu’elle trouve. Le regard d’eau pourtant lui ne le quitte pas. s’effraie du malaise qu’il porte sur ses traits défaits.

Elle se jette sur la bouée qu’il lui lance par ses questions. Du moins, certaines de ses questions. Un tressaillement à la violence mal contenue derrière les mots. Pourtant, elle ne craint pas le coup. Pas le coup physique. Il a d’autre façon d’être brutal avec elle. Il fait un effort, pour ne pas retomber dans leurs schémas destructeurs. La lèvre inférieure tremble. Elle inspire. Cherche un noyau de calme qui se dérobe à elle. Elle souffle. Ne sait plus quoi faire de ses mains et finit par les tordre, image concrète de leurs tourments. Elle vient de les placer dans une position intenable. -C’est un contrat et c'est obligatoirement cette nuit. -et un instant, elle hésite. Parce qu’elle va devoir dévoiler une autre facette de qui elle est, une facette criminelle et qui démontre sans masque l’absence de morale qui la caractérise dans ses transactions charnelles. Elle est loin d'être reluisante. Mais il a le droit de savoir, surtout s' il choisit de ne pas se détourner d’elle, malgré tout. La cage thoracique la comprime. Pourtant, le regard azur ne se détourne pas du sien. - C’est un scientifique qui a mis au point une puce qui permet d'atténuer ou d’endormir les dons d’un Ase. A terme, de les contrôler  à distance.  Il va la présenter à un congrès demain. Je suis payée par un gang de sudri pour copier la puce et la leur remettre. En toute discrétion. -L’avocat ne trouvera aucune honte dans le ton de son amante. Elle n’a aucun problème avec ses agissements. Une épaule qui se hausse, comme si c’était naturel pour elle. Frayer avec les gangs, agir en marge de la société, invisible. -Une faveur que je devais à Angelo. Le scientifique -dont elle ne donnera pas le nom, même maintenant- ne reste pas à Sudri après le congrès.

Peut-être que sa franchise concernant la nuit à venir lui achètera un peu de clémence. Car elle est devenue pâle. Livide même, quand il change de sujet. Quand il aborde sans pitié le réel problème. Il lui pose des interrogations pour lesquelles elle n’a pas de réponses satisfaisantes. Il l’épingle et ne lui permet aucune dérobade. Une fuite serait un camouflet de plus à son égard. Cette fois, ses bras viennent barrer sa taille et ses propres mains se referment en un simulacre de confort. Il aurait pu s’arrêter à ce Quand, il décide de la crucifier. Quand est-ce qu'elle arrêtera. Un souffle, un souffle mortuaire. -Je ne sais pas. Je ne suis pas prête.

Les yeux la brûlent. Onde salée dont elle est si peu coutumière qu’il lui faut plusieurs secondes pour reconnaître ce qui se passe. Elle bat des paupières pour garder la maîtrise d'elle-même. Elle ne sait pas pleurer devant témoin. Et encore moins devant lui, elle se sent déjà bien assez vulnérable comme ça. Elle n’a même plus l'excuse de saïk. Depuis plusieurs mois, elle a pris conscience que son obsession pour le Petit Prince de l’Industrie a reculé, n’a plus le même sens. Elle ne vit plus dans cette ombre. -Je n'en ai pas.. je n’ai jamais réfléchi à arrêter… C’est pas qu’une question financière. -Ca l’est aussi pourtant. Elle a connu une pauvreté abjecte et malgré la somme sur son compte en banque, ce n’est pas suffisant, pas vraiment. Parce que sa fortune pourrait changer, parce qu’une nouvelle catastrophe pourrait survenir et que… Ce n’est pas assez. Elle est vénale. -Je ne sais pas quoi faire d’autre non plus. J’ai vaguement un diplôme. -Cendre a un diplôme. Le besoin de ne pas rester dans l’ignorance la plus crasse. -Mais je n’ai jamais bossé… autrement.

Ania tait. Tait que certaines de ses passes, les plus crades, les plus sombres, ou celle où elle n’est vraiment qu’une marchandise sans âme pour son client, remplissent un vide en elle. Ou du moins un besoin. Qu’elle trouve dans ces moments un plaisir égoïste et pervers. Nécessaire. Elle ne saurait même pas comment lui en parler. N’a pas de mots pour lui expliquer ce que ces heures de ténèbres ont comme influence. De cela, elle a honte. Une honte dont ce plaisir se nourrit et se repaît.

Il poursuit, à la jugulaire, d’une voix disjointe. Elle en tressaille, comme sous un coup de fouet. Parce qu’aborder ce qu’ils sont, ce qui se crée entre eux, c’est tabou. C’est faire naître quelque chose. C’est façonner une relation alors qu’elle avance en aveugle, de moments partagés, volés, en tâtonnant et en se perdant dans le tourbillon qu’il génère, simplement en lui tenant la main dans la rue.

-Tu es le premier, Néro. Je n’ai pas l’habitude.. Je ne sais pas comment… être, dans une relation normale. -Pathétique, à trente-trois ans.- Avant toi, il n'y avait personne. Une fois, peut-être, quand j’avais seize ans, mais rien de vrai depuis. J’ai toujours eu que des clients… jamais…. de petit ami. Tu es un avocat brillant, promis à une carrière incroyable, issu de l’une des familles les plus influentes du Quadra, de sudri, sans aucun doute. Ces derniers mois, c’était… Beau. Je ne savais même pas que c’était possible. Quand je tapine, j’ai pas de doute, d’hésitation. Pas d’inconnu, tout est rigide, cadré et décidé avec une précision millimétrée, aucun risque.  Avec toi, tout est neuf, tout est spontané, solaire. Je suis bien avec toi, Néro. C’est terrifiant, par moment.

C’est terrifiant parce qu’il va finir par se réveiller. Parce qu’il va finir par réaliser avec qui il passe son temps libre. Qu’un jour, elle va l’appeler et son numéro aura changé. Parce qu'il a besoin d’une pute dans sa vie comme d’une verrue sur son pied gauche. C’est terrifiant, parce qu’elle n’a aucune idée de là où ils vont. Elle est au sommet de sa carrière et c’est solide. -Tu comptes pour moi. Je voulais pas.. ca.. .ce soir. Je suis désolée.

C’est peut être le plus proche qu’elle a été d’esprimer des sentiments brouillons, mélangés et dont elle se trouve incapable de faire le tri. C’est dégueulasse de lui demander d’être là pour elle malgré tout, ou du moins, de ne pas fermer toutes les portes. De laisser la possibilité qu’elle le retrouve à Nordi, où il veut. Ania n’en aura pas l’audace. N’en aura pas le courage. Accepte le goût âcre de la perte et de la défaite. Ne sait pas comment se battre pour lui sans se battre mal.
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyVen 14 Oct 2022 - 6:21

Il sait que ce n’est pas rien, ce qu’elle lui raconte. Il sait à quel point Ania Demitryé vend cher ses secrets. Il devrait s’en réjouir. C’est la preuve qu’ils ont avancé. Qu’elle lui accorde une confiance que peu d’élus ont eu la chance de récolter, avant lui. Pourtant, ce n’est pas de la reconnaissance qui gonfle sa poitrine au supplice de la moindre bouffée d’air. Il lui en veut. Une fureur sourde s’amasse sous la chair pourtant il y a peu déliée, détendue par les caresses et les baisers de la femme pour laquelle il succombe. Elle énonce le plus tranquillement du monde une réalité qui le dépasse, qu’il a refusé de regarder dans les yeux pendant des années. Malgré le frémissement aventureux à la surface de son monde trop lisse, il n’a jamais eu à fixer les abysses de l’illégalité trop longtemps. D’autres s’en chargeaient pour lui. Lucide, certes, mais capable de fixer des œillères depuis ses tempes pour s’éviter d'avoir à affronter trop longtemps le spectacle de la masse grouillante de la vermine des bas-fonds. Sudri ou Nordri, il a toujours su quand il lui fallait se détourner à temps. Ania est venue mettre un peu de désordre dans ce protocole bien réglé. Ania rebat les cartes, relance les dés, secoue la table, arrache les œillères ; par mégarde, ou à dessein, il n’en est pas toujours certain. Sa gorge se contracte en une déglutition pénible, car quelque chose ne passe pas. Une légère irritation empêche la salive de s’écouler avec sa fluidité habituelle. Les articulations de ses doigts lui semblent trop roides pour qu’il ne s’en inquiète pas. Un nom, plus que tout le reste, déclenche un pic plus affûté, plus douloureux. Plus Ania pâlit, plus il se sent perdre pied. Elle est devenue blême, parfaitement consciente de la situation dans laquelle elle les plonge. Et lui se sent idiot, stupide, condamné à accepter un quotidien qui n’a rien de naturel, rien d’acceptable, dans le fond. Il se voile la face. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il a tu l’existence de son amante auprès des siens. Ni Melvil, ni Carl, ni Aksel, ni même Meghan ne savent quelle est la Muse de ses jours. Il voit déjà leur réaction. Il les connaît par cœur. Il n’a pas envie de s’imposer une chose pareille par-delà tout le reste. Sa vision se brouille à force de la fixer, et ses paupières battent pour mieux s’esquiver, fixant le sol, les mollets fins ainsi que les pieds nus de la putain qu’il met en retard.

« Avant toi non plus, il n’y avait personne. Ou du moins… pas comme ça. » Relations en clin d’œil. Évaporées en un battement de cil. Des rencontres étranges. Rien de durable. Rien de solide. Au détour d’un hôpital, dans un bureau trop froid, dans une virée sordide, ou au sommet d’une tour. Le visage de Sofja Khratvä passe devant son regard. Partenaire étrange, inaccessible, patronne irascible, amie incompréhensible, mais pilier de sa carrière, élément instable rassurant à sa manière. Le cou racé d'une Norne capricieuse, dont la joie brouillonne et enfantine a longtemps accompagné ses soirées. Leurs rires chantaient en écho aux talons la changeant en sylphide, la masse imposante de ses cheveux gonflés ou rendus lisses à volonté, le besoin d'évasion, et tous ces moments volés. Les traits doux d’une infirmière aux prunelles si grandes, curieuses, à la bouche sensuelle toujours prête à s’entrouvrir, à le contempler comme s’il était le diamant le plus brillant du monde. Sa compagnie apaisante, une déambulation innocente, l’espoir qui scintille et qu’il éteint d’une parole. Les cheveux noirs d’un psychiatre cruel et mégalomane, agitant la menace permanente du convoi qui déraille, de la carrière qui s’arrête ; il suffirait d’une phrase pour que le rêve s’effondre. Violence rentrée, contenue ou exposée à l’air libre, voix masculines qui rebondissent sur la surface turquoise d’une piscine luisant en pleine nuit (sale clébard). Sa vie a été émaillée de ces personnages qui ne cessent de graviter plus ou moins loin de ses pensées.

Mais Ania… Ania est unique.
Elle est la seule.
Elle est cette figure de rêve qui marche, se découpant dans la brume, idole terrible à la bouche cramoisie et ardente. Elle prend et donne, sans compter. Jamais. Vénale, peut-être. Pure jusqu’au fond de son vice, assurément.

« Tu crois que j’ai l’habitude de ça, moi aussi ? » Il se redresse légèrement, et la vrille de nouveau de ses iris arctiques. « J’ai consacré ma vie à mes études, puis à mon travail. Depuis quatre ans, je ne pense qu’à ça. Je n’ai jamais voulu consacrer du temps à une relation qui n’irait de toute façon pas très loin. Tu continues d’essayer de me convaincre qu’il existe une vie meilleure pour moi, mais tu n’as pas le droit de me jeter ça à la tronche. Ma vie, c’est moi qui choisis de quoi elle est faite. Et si tu crois encore que j’ai envie d’épouser la première pute snob venue de la haute qui passe pour lui pondre un môme et assurer un héritage de merde, c’est que t’as rien compris. T’as rien compris… » Ce constat le désole. Dans quelle langue doit-il le lui répéter ?, se morfond-il. Quel dialecte appartenant à l’ancien monde suffirait à la convaincre qu’ils n’en sont plus là, tous les deux ? « Tu crois vraiment que te fréquenter m’empêche de mener à bien ma carrière ? J’ai l’air de la laisser de côté, selon toi ? Alors ne t’avise certainement pas de parler de nous deux au passé. » Cette fois, c’est un avertissement. Il ne demande pas. Une lueur plus perceptible que les autres s’est allumée au fond de ses pupilles dilatées par la douleur qui continue de pulser comme une blessure infectée. « Moi aussi, j’ai peur. Qu’est-ce que tu crois ? On est tous les deux embarqués dans le même bateau, maintenant… Et ça sert à rien de faire semblant de pas le voir… Maintenant, on doit assumer. On doit regarder la réalité en face et prendre une décision. » De son côté, pas d’hésitation. Il ignore de quoi leur avenir sera fait, mais il n’a pas envie de renoncer à elle. Il ignore d’où lui vient cette force têtue, cette conviction que s’éloigner d’elle le mènerait à sa perte. Ce n’est pas seulement son cœur entiché qui parle. C’est son instinct de survie. Un pressentiment intense qui le pousse à marcher sur sa rancœur, à se rapprocher pour reprendre ses épaules, plus doucement que précédemment. Il aimerait se rassurer, lire en elle ce qui le dévore lui-même d’un feu jouissif, et ainsi se rassurer de cette émotion partagée ; sensation de grignoter chaque fois un peu plus loin les frontières du raisonnable. Ania Demitryé a entamé un long, très long processus dont elle n’a probablement pas idée ni de la genèse, ni de l’issue possible. La fleur des pavés a commencé à le réconcilier avec une partie de lui-même depuis longtemps oubliée, et chaque microscopique progrès est un pas vers une évolution censée, primordiale à son avancée. À tout point de vue.

Et pourtant, à la tenir là entre ses mains, il ne parvient pas à prononcer les seuls mots qui en vaudraient encore la peine. Ce ne sont que quelques syllabes, mais le soi-disant avocat brillant ne parvient pas à les articuler. Rien à faire. Sa gorge le démange encore. Son palais est dérangé par un élément étranger. « J’en peux plus, d’Angelo. Oublie Angelo. Tu n’as de cesse de me dire que tu ne dépends de personne, alors pourquoi est-ce que tu te comportes toujours avec lui comme s’il était ton mac ?! » Cette face de merde s’est imprimée derrière ses rétines pour toujours. Encore inconscient d’à quel point l’homme figurera pour toujours parmi ses cauchemars, incapable de prévoir la folie à venir, il se contente pour l’heure de le mépriser la plupart du temps ; de le haïr pour ce qu’il en reste. « Qu’est-ce que tu aimes à ce point là-dedans… ? » Le soupir murmuré est un aveu d’échec. Il a saisi qu’elle n’était pas prête, avant même qu’elle ne le lui avoue. La prostitution a bouleversé l’ADN de la Demitryé. Comme si elle s’était convaincu qu’aucune vie ne pouvait l’attendre par-delà les bras des étrangers dans lesquels elle se vautre. Pourtant, il n’abandonne pas. Il compte bien lui prouver qu’autre chose est possible. Nero se penche, embrasse sa joue, le bout de son nez – baisers empressés, légers, quémandeurs, comme voués à la rassurer.

« Je… Ça pourrait être autrement… Si toi et moi on décide de continuer… Je pourrais te présenter à ma famille. Tu pourrais avoir une autre vie. Mes cousins ont tous des situations intéressantes… Il y en a un qui bosse pour la Svalin, un autre dans le médical, ou dans la culture… Il y aurait forcément un chemin pour toi… Tu es belle, tu es intelligente, intuitive… aucune porte ne pourrait te résister ou te rester fermée très longtemps et tu le sais. »  Il n’envisage même pas que Galaad puisse s’opposer à leur union. Il est prêt à leur mentir à tous, à leur cacher les occupations indécentes de celle pour laquelle il a encore envie de se battre. Il n’est pas prêt à renoncer. Ni à elle, ni à cette inconcevable relation qu’il ne parvient toujours pas à nommer un « couple » pour une raison qui lui échappe. « Tu peux apprendre… Tu peux le faire si tu le veux vraiment. Si tu commences à y songer sérieusement, ça pourrait peut-être se débloquer… » Ses paumes contre les joues de la sirène de ses nuits, une dernière imploration venue enfin chasser le feu qui lui crame les entrailles. L’embrasement fluctue, consomme une énergie folle. Il a du mal à ne pas perdre pied, et pourtant… pourtant, il la fixe comme il n’a encore jamais voulu arracher la victoire dans un prétoire auparavant. « Tu vas… tu vas me faire croire que c’est ce que tu aimes ? Tu t’es déjà foutu un gang sur le dos… Tu vas recommencer ? Tu vas pactiser avec combien d’entre eux, encore ? Jusqu’au jour où on va te retrouver démembrée dans une décharge et à moitié brûlée pour retarder l’identification du cadavre. C’est ça que tu veux pour ta gosse, Ania… ? » Ce n’est même pas un argument fallacieux, ou juste destiné à l’effrayer gratuitement. De vieilles histoires hantent toujours les souvenirs des Uffingham.

« Arrête. Arrête tant que tu le peux encore. »


Dernière édition par Nero S.H. Uffingham le Dim 5 Mar 2023 - 2:32, édité 1 fois
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Ania Demitryé
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Ania Demitryé

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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMer 28 Déc 2022 - 22:32

Ania dévoile une autre facette de son trafic de chair. Un visage qu’îl n’aurait pas dû connaître. C’est sale et puant, de voler, d’extorquer ses clients en plus de simplement se faire baiser comme c’est dans le contrat. Peut être qu’elle attend sur les traits de Néro, du dégoût, du rejet. Peut être qu’il va se détourner quand il va réaliser à quel point la femme auprès de qui il dormait est pourri jusqu’à la moelle. Inadaptée à une vie plus élevée.  A ne prendre place dans la haute société qu’à travers des draps souillés et un corps complaisant. La pute ne l’avouera jamais, ne l’assume pas consciemment, mais la part qui survie dans les bas quartiers de Sudri depuis qu’elle a seize ans espère voir ces émotions sur le visage séduisant, si familier, si doux sous la pulpe de ses doigts, voir ses traits se durcir et son regard se fermer. Avant d’entendre la porte se fermer derrière lui.

Alors, elle n’aurait plus aussi peur, plus  aussi mal. Alors sa vie redeviendrait facile. Terne, dépouillée de la lumière qu’il apporte chaque fois qu’il revient. Mais sans doute. Sans cette angoisse de ne plus jamais le revoir, la certitude qu’il va bientôt se lasser de son caractère instable, et prône aux extrêmes les moins flatteurs. Au moins, le pire se sera produit et elle pourra tenter de ne plus jamais chercher son odeur dans sa chambre, son sanctuaire qui maintenant est empreint de son regard azuré et de ses sourires.

Elle lui offre la vérité, comme Cléopâtre devant l’Aspic. Attendant la morsure de la Fin. Pouvoir répondre à ses questions est un baume particulier. Comme si apaiser une partie de l’inquisition masculine pouvait dissimuler les zones d’ombres qui persistent encore. Les mots trébuchent à ses lèvres et il les reçoit, droit. Solide. Bien sûr, elle note la raideur du corps de son amant, la crispation de ses mains. Elle a conscience, de manière diffuse, que son propre reflet n’est pas plus flatteur. Sa gorge si serrée qu’elle peine à parler aussi clairement que son habitude. L’absence de son port altier. Sa stupide serviette qui recouvre encore son stupide corps humide qui goutte sur le parquet. C’est impensable de commencer à se préparer. Pas devant lui. Ce serait une insulte d’une violence qu’elle n’a pas la cruauté de lui infliger. Pourtant, l’heure tourne. Ce n’est pas encore une urgence, mais ça pourrait le devenir. S’habiller, cesser de parler, ce serait claquer la porte de ce qu’ils construisent, malgré tout. Elle se découvre lâche, encore une fois. Oscillant entre l’envie que ça se termine et le désespoir que ça se termine. Incapable d’une décision radicale.

Pour une femme qui  est dans l’action, la determination, c’est une sensation dégueulasse. Il explique, la voix sourde, le regard brouillé, qu’il n’est pas plus aguerri aux jeux de couple, à progresser ensemble, à deux.  Refuse de s'attarder sur ce que signifie vraiment son “pas comme ca”. Il n’est pas à elle. Ne doit surtout pas le devenir. Ses prunelles retrouvent toute leur clarté, leur acier indomptable et quand il avance vers elle, Ania s’impose de ne pas reculer. -Je ne sais pas, Néro. On a jamais parlé de ça. -Jamais pris le temps, totalement absorbé l’un par l’autre, trop pour qu’elle l’interroge sur la manière dont il est devenu l’homme qui se trouve devant elle en cette fin d’après midi-chaotique. Une esquisse de sourire, un brouillon de sourire, tellement contrefait qu’il ne ressemble à rien. -Tu préfères épouser une pute de la Ville Basse? -La plaisanterie tombe à plat. L’humour et Ania ne font pas bon ménage et surtout pas à ce moment précis. La brune ne reviendra pas sur le sujet. Néanmoins, elle sait à quel point sa présence à ses côtés serait pénalisant pour l’Avocat. Tant pour sa famille que pour sa carrière. C’est une évidence et elle ne comprend pas comment il peut s’aveugler si complètement sur ce point. La Sirène tente, une dernière fois. Sa voix est douce, modulée. Là c’est plus aisée pour elle. Ces arguments, elle les a énoncés une centaine de fois dans sa tête. Cette discussion précise? Ils l’ont eu un millier de fois dans le silence de son esprit. -Pas maintenant, peut-être. Mais d’ici quelques mois? Ta famille voudra savoir Qui tu fréquentes. -Elle retient sa langue. Elle ne  veut pas se projeter. A refuser chacune des ouvertures de Néro sur ce point. Le distrayant de ce sujet dès qu’il tentait de l’aborder. Alors maintenant? Quand la possibilité d’un demain est pratiquement avortée?

Au travers des paroles de Néro, Ania a failli ne pas entendre, ne pas écouter la suite. N’était pas prête à l’entendre. Cependant, il sait, probablement mieux qu’elle, que s’il n’affronte pas ce sujet sans concessions, sans permettre de dérobade, Ania ne le fera jamais. Ce Nous. Un Nous qui ne franchit pas la barrière de ses lèvres. Qu’elle ne s’autorise pas à formuler. Ne t’avise pas de parler de Nous au passé. Cette phrase, malgré la souffrance dont il irradie et qu’elle déchiffre facilement, il la lui assène avec le ton de l’évidence. Comme si pour lui, cela ne méritait pas débat. Il exige d’elle qu’elle l’accepte. Qu’ils feront face, ensemble. Qu’ils sont assez forts pour surmonter même ça. Même cette nuit sordide qui les cravache de sa réalité. Elle a du mal à respirer, les poumons et le cœur, comprimés, oppressés. Il a peur. Non pas de l’opprobre de la société pour ses choix, mais peur, pour eux, pour lui, de la passion violente qui les submerge. Il ne joue pas. Le regard d’Ania s’affole devant cette conviction. Devant la solidité, l’assurance d’un Demain, si elle lui fait confiance, si elle se fait confiance. Elle va tomber, c’est sûr, les jambes coupées par la chaleur intense qu’il crée, qu’il fait renaître par sa détermination quand elle aurait pris la fuite, qu’elle les aurait condamnées. Il la maintient debout, par la simple caresse de ses paumes sur ses épaules. Il chasse, à peine,  le froid mortel qui la fige. Elle a besoin de plus, pour retrouver une sensation de chaleur.

La sylphide ne tente pas de dissimuler au regard intense la violence des émotions qui se pourchassent en elle. La brûlure du soulagement en réalisant qu’il est son Ancre. Qu’il lui interdit de dériver loin de lui. La panique, en réalisant à quel point elle l’a dans la peau. A quel point il lui manque quand il est absent. Ne sait pas si elle peut revenir à son existence aveugle. Elle a relevé le menton vers lui, osant s’assurer de sa réalité par ses mains qui accrochent sa taille avec une rudesse non maîtrisée. Besoin de sentir sa peau, sa chair contre ses paumes. Quand il refuse qu’elle le touche, il l’ampute. Il ne paraît pas attendre de réponse. D’ailleurs, ce n’était pas une question, pour le jeune homme. Il affirme. Mais soudain il aborde une tangente qu’elle n’avait pas venu venir. Ho, elle n’ignore rien de l’inimité qui unit les deux hommes. Il suffit de quelques minutes de proximité entre les deux seules présences masculines récurrentes du canevas troué de ses dernières années pour qu’une haine aussi tenace que réciproque soit née. Le regard d’Ania perd de ses brumes. Tant que Nero n’avait pas appuyé dessus, ça n'avait pas d’importance. Mais en sous-jacent, c’est un choix qu’il lui demande. Ou du moins, de faire un pas vers lui. Un pas concret. Celui-là, elle peut. C’est une promesse, la première qu’elle lui fait. Parce qu’entre Néro et Angelo, la catin n’a pas besoin de réfléchir. -Angelo, c’est fini. Cette nuit est la dernière faveur que je lui rend. il n’était qu’un intermédiaire dans la transaction, d’ailleurs. Je mettrais les choses au clair avec lui. -Devra probablement affronter le poids de son déplaisir quand elle va rompre définitivement leur association. Elle ne détaille pas la complexité toxique des liens qui la lient au malfrat. Ce n'est pas important cette après-midi. Ce qui l’est, c’est sa volonté de lui tourner le dos.

Mais lui expliquer ce qu’elle aime dans cette existence dépravée, amorale, c’est trop. Il lui demande d’être dépouillé, à vif et c’est trop sensible. Il semble le saisir, n’insiste pas sur cette question. Elle a conscience que ça doit le torturer. Qu’il a dû s'interroger là-dessus des dizaines de fois, mais elle a besoin de temps. Comment verbaliser, surtout face à cet homme qui chamboule sa vie compartimentée, l’indicible. Les Wyrds. Mais bien plus que les Wyrds. Le contrôle sur ces hommes qui s’imaginent la contrôler. L’ivresse des sens qui est comme une drogue. La mise en danger, le fil de rasoir, une adrénaline addictive. La manipulation. Le pouvoir. Le désir qu’elle allume d’un sourire et qu’elle assouvit d’une pression de la main. Être au-dessus de tout ça. Elle secoue la tête, à nouveau muette.  Avant qu’un frisson viscéral ne la traverse, qu’il pourra ressentir, à l’instant où sa bouche navigue sur la peau de son visage. Elle en tremble, de ses caresses légères. Elle se rapproche de lui, aimantée, à fleur de peau. Au-delà d’un désir charnel, c’est la réassurance qu’il ne laissera pas se noyer. Qu’il était sincère dans ce Nous. Elle l’étreint, plus étroitement, avidement. Se berce de ses battements de cœur, de ses paroles et de ses murmures qui dessinent un avenir loin de la fange. Sa bouche frôle la sienne. Sa langue effleure sa lèvre supérieure, mais elle reste sage. Elle embrasse la courbe de son menton à peine piquetée de barbe, s'enivre de lui. C’est une folie.

La brune ne se reconnaît pas dans les peut-être qu’il trace. Ne sait pas ce qu’elle pourrait devenir en dehors de la voie qu’elle a tracée pour elle il y a si longtemps. Vertige d’imaginer rencontrer ses proches. Ses Parents. Au moins la question de sa propre famille ne se pose pas, Vladimir doit être mort depuis des années. -Je n’y ai pas réfléchi sérieusement. -N’en a jamais eu besoin. Ni l’envie. Pas alors que sa carrière est au pinacle et qu’elle est l’une des courtisanes les plus recherchées de Sudri. -Donne moi du temps pour l’envisager.  -Lui donner un délai, une assurance maintenant serait un mensonge. Lui affirmer qu’elle peut arrêter demain et qu’elle fera Ci ou Ca, de la poudre aux yeux. -Pour y réfléchir réellement. -Avec l’aisance de l’orateur qu’il est et qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de voir dans un tribunal, il retourne à la face sordide de son activité. Ses paumes brûlantes sur ses joues qui encadrent son visage, qui la retient à lui. Les prunelles claires d’Ania se rivent aux siennes. La simplicité de sa réponse. -J’ai toujours eu des gangs sur le dos, tu sais. J’ai traité avec les Black Mamba quand j’étais sur Nordri, j’ai des contacts avec tous les gangs proéminents de Sudri. Mais c’est normal. Dès que tu acquiers de l’influence dans les Villes basses, c’est un passage obligé. Même avant, tu composes avec leur présence dans ta vie. Surtout quand tu passe la moitié de ton temps dans la rue. Je suis l’une des rare à être sorti presque indemne des griffes de l’Oméga,  -non qu’elle s’imagine qu’il se souvienne de ce nom sorti tout droit des faits divers datant d’une bonne dizaine d’années, surtout lorsque l’homme n’avait pour victimes que des putes sans intérêt pour les bourgeois. -Je ne suis pas en train de minimiser leur danger ou les risques, simplement c’est une menace que je connais et à laquelle je sais réagir. Ce qui s’est passé avec Anamaya n’est pas la norme. Mais je peux aussi mettre de la distance entre eux et moi. Cesser toutes relations professionnelles. Faire savoir que je me retire de certains aspects. Ce ne sera pas immédiat. Pour que ce soit fait dans les meilleures conditions possibles, cela pourra prendre quelques mois.

Est ce qu’il peut attendre pour qu’elle assainisse  ses  activités? Ça va lui coûter. Beaucoup. Financièrement, d’abord. Acheter la paix et l’assurance de ne plus être contactée par les différents groupes criminels avec lesquels elle traite depuis des années aura un  prix élevé. En réseaux et en informations ensuite. Elle ne sera plus au courant de ce qui se trame dans les artères les plus sombres de la ville. Va se séparer de la partie la plus répréhensible de sa clientèle pour se concentrer sur ses clients aux mains les plus blanches. Ce ne sont pas des éléments qu’elle va partager avec Néro. Il n’a pas besoin de savoir ce versant de ce qu’elle tramait dans le détail.  Ce sont des concessions immenses alors qu’elle ignore encore si c’est sage de poursuivre cette liaison avec lui. Cependant, Ania commence à accepter que ce serait invivable de le perdre parce qu’elle travaille avec la faune criminelle de Sudri et des autres villes.  Une de ses mains remonte jusqu’à sa nuque, s’apposant contre son cou, avalée par les abysses qui se dressent et les éloignent. -Je ne peux pas encore arrêter. -Et c’est la réalité la plus crue et la plus cruelle. Une vérité qu’ils refusaient de voir et d’accepter. Malgré tout ce qu’ils viennent de se dire, la fleur de pavé ne pourrait lui en vouloir que ce soit Trop. Que l'épreuve reste insurmontable. Parce qu’il est indéniable que malgré ses concessions, c’est un fragment. S’il décide de refermer cette porte, elle ne serait même pas en colère. Anesthésiée. Elle sait que quelque soit le choix de Néro, elle Va devoir se préparer pour un rendez-vous dont l’heure se rapproche. elle VA passer cette nuit dans une chambre d'hôtel anonyme avec un autre que lui. Délicatement, elle se hisse sur la pointe des pieds. Sa bouche qui frôle la sienne, sans venir l’embrasser. Sans se permettre de franchir ce dernier pont malgré le besoin de ce baiser qui la dévore. Refuse de le brusquer ou de le lui imposer. Elle lui en demande déjà trop. La pute n’arrive pas à déterminer ce qui serait pire. Qu’il parte maintenant avec la vague assurance qu’il la rapellera “plus tard” ou qu’il attende son retour, en sachant les horreurs qui vont défiler dans son imaginaire. Il n’y a pas de bonnes solutions.

Elle est entre la tétanie et la terreur.  N’a plus le controle et ne peut rien orienter. D’une vulnérabilité qui lui répugne, qu’elle s’était promis de ne jamais ressentir. Mais elle est incapable de lisser ses traits. De remettre un masque. Il est le seul à pouvoir décider de la suite immédiate et c’est atroce pour elle. C’est un fardeau immonde qu’il a sur les épaules.
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Nero S.H. Uffingham
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L'ecarlate des Silences ~Néro~ Vide
MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyDim 5 Mar 2023 - 4:09

Pendant quelques infimes secondes, il pense qu’elle va céder. Il n’existe nulle plaidoirie plus importante que celle qu’ils mènent dans cette chambre, éclairée par les premiers rayons du couchant. Si hauts, si hauts à planer au-dessus de Sudri comme lorsqu’il veille sur sa Belle Nordri endormie, depuis la tour du COS. Il s’éprend à les penser au-dessus de tout le reste, de toutes les conventions ou barrières qu’ils se sont échinés à mettre en place autour d’eux. D’abord soumis, puis s’étant persuadés que leur prison dorée valait bien tous les acquis durement gagnés : le fric, le confort, la gloire, la réputation, le réseau. Ce putain de réseau, il rêve d’en cisailler les chaînes. Avec elle, il n’aurait plus besoin de personne d’autre. Ania. Ania est l’incarnation de ce fantasme indicible que caressent tous les hommes sans jamais le verbaliser ; la peur du ridicule. Ania, première et unique Femme du monde auprès de laquelle un avenir, pour la première fois de toute son existence, semble envisageable. Elle lui suffit. Elle lui suffirait, si le Quadra ne les tenait pas prisonniers d’une cité sans horizons, et dont les murs les protègent sûrement de ce que l’extérieur a laissé pourrir depuis le grand Exode. Retrouver une vie simple. Abandonner les fanfreluches, les cours pavées, les ronds de jambe, les juges à convaincre, les jurés à séduire, les clients à défendre, les coupables à gracier. Il pourrait se contenter de vivre, vivre enfin, pour de bon, avec une personne comme elle à aimer. Retrouver ce que signifie vraiment la chaleur des sentiments. Réapprendre la notion de plaisir immédiat, de plaisir à venir, sans avoir à être aussitôt rappelé à l’ordre par un supérieur impatient, par un mac intransigeant. L’épouser, oui. Lui faire un gosse. Plusieurs, mêmes ; violer la loi de l’enfant unique. Tout s'achète. Ils n’ont qu’à payer rubis sur l’ongle pour que deux têtes brunes aux yeux clairs n’égayent de leur innocence la corruption crasse des quatre cités cardinales. Il se noie dans l’étreinte qu’elle lui rend, tétanisé de la sentir trembler. Lui, si loin d’incarner la force brute de Melvil, incapable de réveiller en lui cette même rage sourde qui habitait Shaze, se révèle soudain capable de remuer ciel et terre, pour la protéger. Effrayé par l’intensité d’une affection qu’il ne lui a jamais avoué par les mots fatidiques, cette peur panique paraît s’effacer, au profit de sa sauvegarde à elle. Il craint si fort qu’elle finisse par ne plus rentrer. S’il ignore l’appréhension d’Ania concernant une possible volte-face de sa part un jour, lui ne peut que taire et ressasser cette angoisse latente, celle de la voir succomber à la main d’un malade, d’un magnat dont le pognon saura toujours mieux que l’acide le plus corrosif faire disparaître son cadavre à jamais. Lui aussi pourrait en trembler. Il ne faudrait pas grand-chose pour transformer cette hypothèse morbide en sinistre réalité. Les baisers qu’elle dépose l’arrachent à ses pensées profondes, le ramènent plus étroitement à leurs deux silhouettes enlacées.

Soudain, ses certitudes s’effritent. Il n’est plus aussi confiant en ses arguments. Elle va lui échapper. Déjà, elle louvoie. Il s’en aperçoit, lit si clairement au fond des prunelles de la jeune femme. Avant qu’une révélation massue n’éclate entre eux deux. Imprévisible. L’Oméga. Evidemment, qu’il se souvient. Tous les étudiants en droit, avides de récits criminels glauques à souhait, s’étaient repus des anecdotes encadrant la traque du tueur en série de prostituées le plus prolifique depuis la fondation du Walhalla. Quel âge avait-il, alors ? Vingt ans ? Il n’avait pas échappé à cette fascination contagieuse. Jusqu’alors, les filles de joie tombées sous ses griffes n’étaient que des statistiques, ou à peine plus. Il avait lu des noms, se souvenait d’avoir pu contempler, songeur, des visages issus de photos de mauvaise qualité ; papiers d’identité capturés à la va-vite par des journalistes charognards et autres preuves dérobées par les vautours amateurs de faits divers. Mais elle. Elle, dont le corps sentait encore bon ces produits de beauté luxueux qu’il assimilerait pour toujours à sa fleur des pavés, aurait pu figurer parmi ces statistiques-là. L’idée lui est intolérable. Il ne la blâme pas, pour ne jamais le lui avoir avoué jusqu'à présent. Mais le timing est pire que tout. Sous le choc, il humecte brièvement ses lèvres, et son regard décroche de nouveau, fixant sans la voir une portion de la chambre, quelque part sur sa gauche. Il entend à peine les explications « rassurantes » d’Ania, qui déroule un programme d’abandon du terrain savamment réfléchi. Il l’entend, mais il n’est pas encore capable d’y répondre. Assommé. Ses mains ont quelque peu glissé le long des bras doux et fins, manquant de la relâcher.

La paume qui s’installe contre sa nuque est la seule chose qui lui permet de retrouver un contact tangible avec le sol. -Je ne peux pas encore arrêter.

Le frôlement d’une bouche qui n’ose l’embrasser.
Elle va partir.
Elle va y aller.

Si elle savait. Si elle savait que le sang de la Ville Basse courait dans ses veines aussi sûrement qu’elle y avait passé sa jeunesse. Lui aussi pourrait déposer cette bombe à ses pieds. Là, maintenant. Il pourrait lui parler de son père, de sa mère, des rumeurs insensées qui ont toujours couru depuis la bouche des Whayles en passant par les coups d’œil fuyants des Déléas. Du sceau du secret fermement imposé par Galaad. Mais à quoi bon ? Cette fois, ses phalanges l’abandonnent pour de bon. Sa peau le démange de milliers d’irritations qu’il éradiquerait bien jusqu’au sang, de ses ongles rageurs. Il aimerait s’accrocher à la bribe de promesse qu’elle lui tend, sans pouvoir s’en satisfaire. Est-il trop exigeant ? Est-il trop orgueilleux ? Pourquoi ne parvient-il pas à croire à la défection d’Ania vis-à-vis d’Angelo ? Un homme pareil serait-il capable de la relâcher pour de bon ? Là encore, d’anciens souvenirs, des noms anciens et sans visages apparaissent, flottent à la surface de sa mémoire. Ces hommes-là n’abandonnent jamais.

Lui donner du temps. Ce n’est pas si terrible. Du temps, ils en ont après tout, n’est-ce pas ? Ils sont encore jeunes, et Ania elle-même dissimule bien les deux années qui prévalent sur sa propre longévité. Alors pourquoi ne pas attendre encore ? Pourquoi ne parvient-il plus à mettre de côté aussi aisément cette attente dont les six derniers mois se sont accommodés ? La réalité le frappe, alors : il ne les a pas vus passer, ces mois-là. Ils ont dansé sur des échanges trop brefs, des nuits trop courtes. Ils ont évité chaque conversation importante qu’ils auraient pu et dû avoir, pour éviter d’en arriver là. Désormais, ils ne peuvent plus se contenter d’esquiver encore. Ils sont allés trop loin, pour ça. Le temps, lui, va continuer de galoper, et finir par lui arracher ce rêve qui, ce soir, ne lui a jamais paru aussi réel. Il se revoit, bouffi d’arrogance, déterminé à ne plus dépenser un seul Wyrd pour elle, la réclamant pour amante. Aujourd’hui, cet orgueil l’intimide presque, tant il se demande comment il est parvenu à lui tenir tête avec une telle véhémence pour obtenir cette place privilégiée. Il n’en regrette rien. Sans cette opiniâtreté, ils n’en seraient pas là. Et ce n’est plus guère le moment de chercher à battre en retraite. Il n’y a pas de demi-tour possible. Il sait qu’il ira jusqu’au bout, avec elle. Jusqu’à ce qu’elle le repousse. Jusqu’à ce qu’elle invoque de nouveau cette méchanceté de glace dont tous deux sont capables, dans leurs pires élans.

« Quelques mois, hein… »

Un sourire fatigué. Quelques mois. Trois ? Six ? Neuf ? Il acquiesce dans le vide, dans le vague. Les yeux hagards, il se recule. Il abandonne, et d’une main épuisée, la désigne : elle, sa foutue serviette, sa penderie qu’elle n’ose visiblement pas ouvrir en sa présence. Le parallèle avec une dernière scène du passé resurgit. Une autre qu’elle s’était montrée moins pudique, sur la question. Moins élégante. Il y a si longtemps. « De toute évidence, tu ne comptes pas changer d’avis. Quoi que je dise. » Un reniflement discret. « Il y aurait beaucoup à dire de tout ça, pourtant. C’est justement parce qu’on n’a jamais parlé de ces choses-là qu’on aurait dû en discuter. Dès ce soir. On ne devrait plus attendre davantage pour aborder… certaines choses. » La mention de l’Oméga ne cesse de lui tourner en tête jusqu’à l’obsession. La bouche soudain rendue plus sèche, un vertige le fait dénéguer par peur de chanceler, et il dissimule de quelques pas titubant vers l’arrière la semonce dont l’onde continue de propager ses répliques, sourdement. Comme l’envie de vomir tout ce qu’il garde dans ses tripes. Tout ce qu’il ne lui a pas confié. Sur Ellundril. Sur Hyoki. Sur ce qu’il a mis en œuvre pour la protéger par-delà ses polices d’assurances qui, bien que solides, n’auraient peut-être pas suffi sur le long terme, à protéger la Sirène de Sudri.

Il ne parvient pas à croire à ce qu’il murmure pourtant bel et bien. « Je te laisse te préparer. » Un frisson violent hérisse la chair de ses bras aussitôt, et il ne tient plus avant de se détourner et de quitter la chambre. Il remonte le couloir en ectoplasme, comme un fantôme nouveau-né appréhendant mal le nouveau pan dimensionnel dont il ne connaît pas les codes. Tout lui paraît à la fois si familier et si différent. Il débouche dans la pièce à vivre, trouve la veste de son blazer dont il extirpe clopes et briquet, et se réfugie sur la terrasse qu’il a toujours adoré, chez elle. Repoussant la baie vitrée dans un chuintement agréable, ses pieds nus trouvent les dalles sèches encore chauffées de soleil. Il en faudra plus pour dissiper la froidure que l’atmosphère pourtant moite du Quadra ne parvient pas à surpasser. Penché sur la balustrade, ses doigts raidis par la tension allument péniblement une cigarette pour en tirer une bouffée grise à peine rassérénante. L’impression que chaque battement de cœur ne distribue plus que du sang empoisonné, affaiblissant chacun de ses membres, rendant ses connexions cérébrales et nerveuses plus fragiles. Chaque mégot sur le point de mourir en allumera un autre. Jusqu’à ce que son ouïe aux aguets puisse entendre le claquement des talons de la courtisane la plus en vue de cette ville de malheur.
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMar 14 Mar 2023 - 21:44

Cela fait des années qu’elle n’a pas été aussi impuissante, aussi vulnérable. Cette sensation, qu’elle s’était jurée de ne plus jamais ressentir menace de la submerger à tout instant. C’est étouffant, ça écrase ses poumons et l'empêche de respirer normalement. Le masque de poupée de verre qu’elle travaille depuis des années s’est fracassé au sol et elle ne parvient plus à le reconstruire. Avant cette nuit, Néro ne l’avait jamais vu Nue. Pas encore, pas vraiment. Pas à ce point. Confusément, elle lui en veut. Lui en veut de prendre autant d’importance dans sa vie et dans ses nuits. De l’obliger à réaliser que tous les Wyrds qu'elle a amassé, sur divers comptes bancaires et caches en liquides ne sont d’aucun secours, ne suffisent pas à tenir à l’écart l’hiver de ses sensations. Ania est trahie et la trahison vient d'elle-même. De Lui aussi, qui la force, par ce simple regard trop intense, de réviser la manière dont elle mène sa vie.

Elle a parlé, trop parlé. Éviscérée son âme et en plus elle échoue à le convaincre.  Claquer la porte de ses activités dès ce soir est impossible. Elle ne parvient même pas à imaginer ce que cela aurait comme conséquences.  Elle ne ressent pas de honte, pas de honte à vendre son corps, pas de honte à vendre des secrets qui ne lui appartiennent pas, pas de honte à frayer avec avec des éléments criminels dont la seule place est au Ragnarok. Pas même devant lui, incarnation de la Justice et des Lois. Elle expose simplement les pièces de puzzles qui composent son existence. Le danger est émoussé, il n’y a que les menaces planant sur Anamaya qui parviennent à briser la carapace et à provoquer le besoin de la mettre en sécurité. La sienne propre ne l’inquiète plus.

Ils restent silencieux, figés l’un en face de l’autre, malgré la douce chaleur  de ses doigts sur son visage. Il retient la violence qu’elle a déjà vu pulser en lui. Elle n’en trouve pas la moindre vibration ce soir, c’est effrayant et terrible, cette tristesse à fleur de peau qu’il ne dissimule pas et qui s'étend entre eux. Ania préférerait presque qu’il frappe plutôt que cette souffrance qui le ravage.  Un frisson hérisse sa peau encore humide, ignore si c’est dû à la température de la chambre ou à la tension qui s’étire entre eux. Instinctivement,  les doigts de Néro glissent sur ses épaules, comme pour chasser la fraîcheur qu’elle ressent. C’est ridicule, cette serviette qui la couvre. Elle devrait se mettre en action. Se préparer. Découvre qu’elle en est incapable. Pas devant lui. Ne peut en faire un spectacle lascif. Ne peut pas jouer de cette manière. Même sa science sensuelle l’a déserté, Au lieu de l’étourdir de caresses et de baisers à lui en faire perdre la tête, au lieu de tomber à genoux devant lui et défaire son jean pour lui faire oublier ses prochaines heures d’absences, elle reste plantée là, les bras ballants. Ou peut être est ce un reste d’intelligence. Ce serait une insulte. Ce n’est pas le moment, il la repousserait bien sûr.

Ses pensées sont une balle de flipper lancée à toute allure. Ne sait pas ce qu’elle pourrait lui promettre de plus. Son sac à malice est vide et c’est terminé, il ne la touche plus. Un pas en arrière. Pour lui rendre de l’espace. Pour le libérer d’elle.  Qu’est ce qui reste d’autre à faire? Ce serait peut être un acte de décence. Le premier depuis qu’elle a commencé à faire le tapin. Lui demander de partir. De quitter son appartement et d’effacer son numéro. Leur liaison, une mauvaise parenthèse dans son futur à la trajectoire stellaire. Nier en bloc tout ce qu’il vient de lui dire depuis son réveil et le ranger dans la catégorie “divagations  pour continuer à baiser à l’oeil”. Mais Ania n’arrive pas à s’en convaincre, ne parvient pas à tordre suffisamment la situation pour le croire. N’est pas assez courageuse pour s’infliger un tel sacrifice. Elle a toujours su qu’elle était égoïste.

Elle a besoin de Néro. Elle a besoin de sa présence lumineuse, elle a besoin de son sourire et de ses sarcasmes, elle a besoin de son arrogance et de sa tendresse. Elle a besoin de sentir son corps contre le sien. Besoin de sentir son parfum. Accroc à la manière dont elle agit quand elle est avec lui. Intoxiquée à l’envie de lui plaire, à la manière dont elle se sent quand il est à ses côtés. Il efface les vices crasses dans lesquels elle baigne depuis la déchéance de sa famille. Il adoucit les insultes et les perversités qu’elle ne relève même plus. Ania ignore quand ca c’est produit, quand il a effacé les apparences de la pute pour chercher la femme derrière, une femme qu’elle ne connait pas vraiment elle même. Tourner le dos à ces découvertes, retourner dans l’ombre de la putain, elle n’en est plus tout à fait capable, maintenant qu’elle a appris qu’une autre facette d’elle meme savait sourire sans mensonge. Alors non. Elle est pas assez forte, pas assez altruiste pour sortir de la vie de Néro bien que ce se serait sans aucun doute la seule voie d’épanouissement pour lui.

Car il se trompe. Il ne peut que se tromper en pensant qu’elle ne sera pas une ancre à ses côtés, en croyant qu’il pourrait la présenter à sa famille sans se soucier des médisances dans son sillage. Elle devrait être forte et inflexible, lui prouver qu’il ne peut que couler avec une courtisane à son bras pour autre chose qu’une nuit de plaisir tarifé.  Noyée dans ce regard trop bleu, elle vacille. Tait ces paroles dévastatrices, salvatrices sur le long terme.  Ne peut conjurer cette cruauté nécessaire.  Quelques mots, faible écho. Il n’y a guère de confiance dans ses promesses et comment l’en blâmer.  L’arpenteuse ment mieux qu’elle ne respire, il le sait bien. Elle secoue la tête, muette. Non, elle ne changera pas d’avis. Se rattrape à ce parapet friable. A cet instant, la brune ignore quel sujet il peut bien vouloir aborder de plus. Son regard fuit sur le parquet polis de sa chambre avant de revenir vers son visage tendu.  Elle hoche la tête, se forçant à décrisper les muscles qu’elle a de nouveau raidis sans y prêter attention. -Si… Tu as encore envie de parler demain, plus tard, on parlera, de ce que tu veux. -L’articulation est trop claire, les mots parfaitement bien ordonnés alors qu’elle continue de maintenir la porte ouverte au lieu de la claquemurer à triple tour.

Une reddition en un souffle.

En quelques secondes, elle retrouve une solitude précaire. Une solitude nécessaire et qui lterrasse. Elle reste immobile de longues secondes. Avant que la serviette ne tombe et qu’un rituel établi depuis plus d’une décennie ne se mette en place. Ses cheveux qu’elle relève pour ne pas les avoir dans la figure.  Deux pièces de lingeries qu’elle a sélectionné mentalement plusieurs semaines auparavant en fixant le rendez vous, en cernant le client.  Chacun de ses gestes est un geste de survie. Le masque revient. La glace fige son regard. Les tourments de Néro, les siens sont mis en boîte. Interdit. La professionnelle se prépare avec une minutie millimétrée. Ses mains ne tremblent plus quand elle remonte dans son dos la fermeture de sa robe bien trop courte. Quelques gouttes d’un parfum capiteux pris dans l’un de ses flacons prenant la poussière. Son maquillage est précis, parfaitement dosé. Seule sa bouche est brisée d’un rouge trop agressif, comme pour s’assurer, malgré tout, qu’elle ne lui plairait pas. Pas à Lui et pas ce soir.  Une paire de talon vertigineux allonge encore ses jambes, marque de fabrique.

Un long manteau noir dans lequel elle s’enveloppe et dont les pans font disparaitre sa silhouette autant que la tenue qu’elle porte. Elle ne prend rien avec elle. Juste le minimum. Son pas décidé claque dans l’appartement vide. Elle n’a pas entendue la porte d’entrée. Mais il a pu la refermer sans un bruit. Le staccato se fige dans le salon. La pute se découpe en ombre chinoise dans la grande porte vitrée. Il lui tourne le dos. Elle n’entre pas. Continue de se diriger vers le couloir de sortie. Murmure feutrée de la porte qui s’ouvre et qui se ferme. Peut être pourra t’il distinguer dans les rues de Sudri la démarche de la Harpie du haut de la terrasse. Probablement pas. Elle ne se retourne pas. Ne s’immobilise pas. Ne lève pas la tête vers les étages qui la surplombent. Elle marche. Tourne l’angle de la rue, disparaît dans un véhicule qui l’attendait.

***

Des années qu’Ania Demitryé n’avait pas vécu une nuit d’une telle dissociation. Remontant aux mois suivants sa rencontre sanglante avec l’Omega. Elle n’existe plus réellement cette nuit. Entièrement aux mains de la Catin. Elle ne garde que des souvenirs flou des heures qui s’écoulent, de son corps disponible et de ses mains agiles. Il n’y a aucune anicroche, sa réputation ressort de ce lit grandit. La Courtisane de Sudri a enchanté, bernée et s’est offerte avec un abandon suave. La puce est dérobée. Copiée. Remise à ses nouveaux propriétaires dans un tour de passe passe au garçon d’étage qui leur offrait une bouteille de champagne en guise de rafraîchissement entre deux ébats. Elle a bu un tiers de coupe. Discernant le danger d’autoriser l’alcool cette nuit. Le scientifique est parti avant elle, comme convenu. Libre usage de la salle de bain qui chasse sa sueur de sa peau. Ça ne sert à rien, elle est Sale. Après une demi-heure sous l’eau brûlante, elle est encore Sale.  Plus de maquillage. Sa bouche n’est plus rouge. La pute s’endort.

Le soleil se dessine à peine à l’horizon, la nuit est rosée et l’air frais quand la voiture la dépose à l’endroit exact où elle a été prise quelques heures plus tôt. Maintenant la façade se fendille.  L’angoisse remonte tout comme l’envie de vomir à mesure que ses talons la ramènent vers son immeuble. Ania n’a pas osé regarder son téléphone. N’a pas osé regardé si des messages l’y attendent.  Maintenant, elle questionne ses choix concernant l’absence d’alcool dans sa vie et pourquoi elle ne boit pas. Elle comprend, presque, pourquoi Vladimir se noyait dans des breuvages frelatés.

Qu’est ce qui serait pire? Qu’il soit parti? Qu’il l’ait attendu? Comment est-ce qu'elle pourrait le regarder, après lui avoir infligé Ca? Elle s’impose de respirer. De se calmer. Tout va bien. L’empreinte de sa paume déverrouille la porte d’entrée. Elle entre chez elle. Dans son cocon. Dans son sanctuaire qui est devenu une antichambre d’angoisse. Le manteau reste sur ses épaules alors qu’elle traverse l’appartement jusqu’au salon. Si Nero est resté, il sera encore sur la terrasse. Elle en est persuadée.  Le bruit de ses talons lui heurte les tympans.  Elle regrette la configuration de son espace qui ne lui permet pas d’atteindre sa chambre en premier. De pouvoir se changer. De virer cette robe pour un jean et un tee-shirt immaculé qui n’ont rien à voir avec les heures précédentes.
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMer 15 Mar 2023 - 5:07

Lorsque la porte se referme, chuintement discret, son souffle faiblit. Sa poitrine se contracte, et il peine à inspirer la prochaine bouffée d’air qui lui permettra de ne pas étouffer complètement. Sous le choc, l’avocat se redresse et se recule d’un pas ou deux, titubant, pendant que son mégot entamé chute à terre, sans qu’il ne prenne la peine de le ramasser. Il ne veut surtout pas chercher à la voir, d’en haut. Il ne veut surtout pas qu’elle le voit la chercher du regard, d’en haut. Perturbé, la chaleur tiède et agréable n’est d’aucun effet sur son torse nu. Incapable de réfléchir, les prémisses d’une crise d’angoisse le paralysent, l’empêchent de discerner la vue sublime de la skyline sudrite. Il n’est pas capable de crier, de hurler, de céder à des sanglots de rage hystériques. Il finit par tourner le dos à la ville, et pénètre de nouveau dans la vaste pièce à vivre. Il la cherche. Il la cherche, comme si une partie de son cerveau refusait de croire à ce qu’il a pourtant bel et bien entendu.

Elle est partie.
Ania est partie.

Claquant des dents à s’en faire mal, il déambule dans les pièces du vaste appartement, gagnant la cuisine, le couloir, la chambre. Le pathétisme de sa situation le frappe de plein fouet, et avec elle l’envie de retourner se vautrer dans les bras de ses vieux démons. Il ne le fera pas, cependant. Nero Uffingham est modelé par trop de discipline, trop de contrôle de lui-même pour y céder. Cet état-là n’est pas normal, et il s’efforce de retrouver la maîtrise de lui-même. Il n’était pas comme ça, avant. Avant elle. Il retombe sur ces foutus draps emmêlés par leur sommeil et par l’amour. L’amour, parlons-en, tiens. Il n’est même pas sûr de pouvoir employer le terme galvaudé, pour nommer les sentiments qui le terrassent pourtant de par leur rugosité.

Elle est partie.
Reprends-toi.
Elle est partie.
Tu savais ce qu’elle était.

Comme une envie de brûler ces draps à même le sol.
Une clope de plus. La braise qui entame le coton de synthèse.
Une odeur de tissu cramé qui lui empuantirait les narines, et lui ferait oublier celle de son parfum, qui plane entre les murs. Il se détourne de l’idée morbide, mais s’attache aussitôt à changer la literie, par des gestes secs et décidés. Il a besoin de s’occuper les mains. Et puis elle voudra sûrement s’allonger dans une odeur de frais à son retour. Après tout, la nuit sera rude. Difficile. Elle mérite bien le peu de confort qu’il est capable de lui apporter. Et pendant que ses mains lissent, empoignent, tirent, lâchent, il constate une succession inquiétantes de phrases, de mots, de systèmes qui le démangent, qui ne sont pas bons, qui hantent sa caboche.

Pas foutu de lui faire arrêter ça. – Elle n’en a pas envie.
Pas foutu de pouvoir l’entretenir. – Elle est mille fois plus riche que toi.
Pas foutu de la contenter, sûrement. – Avec tous les bonhommes qu’elle se tape.

L’eau de ces courants mauvais surpasse le barrage de sa raison, menace de le noyer dans une dépréciation telle qu’il n’est plus capable de se battre contre leur influence. Le lit est impeccable lorsqu’il en a terminé. Il a besoin de se réchauffer sous un jet de flotte brûlante, lui aussi. Le retour dans la salle de bain lui est pourtant cruel, et il jette un coup d’œil désabusé aux flacons, aux poudres et aux fards qu’elle a laissé là. Il s’en écarte, comme s’il craignait le seul contact avec tous ces artifices soulignant sa beauté naturelle. Il se déshabille, se douche, frotte sa peau sans douceur, abandonnant çà et là quelques traces rougies contre le derme pâle. De mauvais souvenirs surnagent, se cognent et bousculent les quelques éléments stables, repères nécessaires, auxquels il se raccroche. Il envisage de partir, dès ce soir. D’aller dormir ailleurs. De rentrer à Nordri. Mais à quoi bon ? Quel message ferait-il passer ? Il ne ferait que lui donner raison. À elle, persuadé qu’il n’attend que de croiser la paire de nibards idéale et provenant de son milieu pour la quitter et épouser une inconnue. Blessé de cette vision partiale, il comprend qu’il n’a pas le choix. Pieds et poings liés. Il doit rester. Il doit encaisser l’humiliation suprême de savoir celle qu’il adore se donner à un énième inconnu pété de Wyrds. L’humiliation après tout, il connaît. Elle a jalonné toute son existence, avec plus ou moins de nuances, plus au moins de sadisme. Inférieur, et son nom n’y changera rien. Son nom n’est qu’un rempart, un bouclier dont il peut se servir pour parer les coups les plus grossiers. Les fines lames sauront, comment réveiller les plaies et entailler sa chair.

Elle ne sait pas.
Elle ne sait pas comme son sang à lui n’est qu’à moitié bleui par une ascendance noble, souillée par les gènes noircis par le vice de celle qui l’a mis au monde.
Ils se sont voilés la face pendant des mois. Lui le premier, croyait que mettre de côté tous les sujets sensibles, tabous, délicats, leur permettrait de s’offrir une trêve bien méritée. Une paix dont ils avaient besoin, tous les deux. Mais la trêve est terminée. Il comprend qu’il ne supportera pas encore longtemps l’outrage qu’Ania lui impose.

L’envie de se faire du mal augmente d’un cran, quand ses ongles entament trop vivement le derme pâle de ses bras, le faisant siffler de douleur. Pathétique. Pathétique d’avoir accepté cette vie-là. Trop lâche pour emprunter une autre voie, pour affirmer avec plus de véhémence son refus de la voir continuer sur ce chemin sinueux. Il enroule ses hanches d’une serviette éponge après s’être séché à la va-vite, et regagne le salon dans un élan impérieux, presque instinctif. En quelques minutes, ce sont plusieurs verres de whisky qu’il ingurgite, cherchant dans la chaleur de l’alcool l’oubli qui lui permettra de s’assommer, de dormir suffisamment pour ne pas avoir l’air d’un mort-vivant, au moment d’embaucher le lendemain. Il doit prendre sur lui pour éviter de balancer le contenant de verre à l’autre bout du séjour. Il écoute le silence, le son diffus produit par les véhicules loin, loin en contrebas.

La solitude qui l’entoure, alors, le dévaste.

•••

Nuit atroce.
Bouche sèche, cauchemars sans formes, réveils incessants. Malgré la fraîcheur des draps changés, une fièvre désagréable s’est abattue sur lui, qui n’a pas pris la peine de s’abriter dans une obscurité complète. Les paupières entrouvertes, fil acéré pareil aux prunelles d’un chat, il regarde le jour qui se lève et qui s’apprête à abréger son supplice. Ses affaires sont déjà prêtes. Il n’a qu’à s’habiller, puis partir. Tout a été ramassé dans un coin de la chambre. Rien ne traîne. Il se heurte toujours aux mêmes obsessions. Il ne cesse de dessiner le visage d’Ania dans sa tête. Elle lui a manqué si fort, cette nuit. Plus d’une fois il en a mordu l’oreiller, pour retenir des pleurs hideux, pour s’empêcher de gueuler sa détresse, pour ne plus se laisser aller à son imagination. (Quelles positions ? Combien de fois a-t-elle joui ? Est-ce qu’elle aime sa queue plus que la mienne ? Pourquoi ?) Il ne peut qualifier de repos les brefs moments d’interlude lui ayant permis de s’assoupir d’épuisement, pour mieux se réveiller en sursaut moins d’une heure plus tard.

La porte qui s’ouvre, au loin, le crispe aussitôt.
Il ne sait même pas quelle heure il est.
Tout ce qu’il voit, c’est le gâchis d’une nuit qu’ils auraient pu passer ensemble. Est-ce un caprice, de sa part ? Est-ce lui qui est incapable de respecter les règles du jeu ? Le Quadra comporte sa propre logique, son propre guide de survie. Chercher à s’en dépêtrer, à contourner ces règles, c’est forcément s’exposer à une désillusion dont il n’a pas besoin. En filigrane, il a cessé de respirer, et écoute les talons qui résonnent depuis l’autre côté de l’appartement. Il ne compte pas simuler un endormissement. Il se sent fatigué, las et totalement abattu au moment de se redresser, poussant faiblement sur ses bras pour s’asseoir et frotter ses paupières. Il doit avoir une tronche à vomir. Parfait, pour couronner cette scène risible d’un homme soumis au point d’être resté ; un vrai clébard patientant dans la niche. Arrête. ARRETE. Il tire le drap sur son corps nu. Il a froid. Il la guette, cherche à retracer le parcours de son amante, au fur et à mesure qu’elle marche, pour trouver la destination inévitable de la chambre qu’ils n’auraient jamais dû quitter.
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMer 15 Mar 2023 - 10:18

Ania se décide à franchir les quelques mètres qui la séparent encore de la porte vitrée. La terrasse est vide. Un petit rire fatigué, désabusé. Elle s’imaginait quoi, au juste? Que Néro serait resté sur la terrasse toute la nuit? Une vigie solitaire et inamovible? L’idée est ridicule. Elle n’aurait pas dû se permettre d’y songer, même inconsciemment. Elle s’avance sur le revêtement dallé, repérant malgré tout les traces de sa présence passée. Les mégots de cigarettes.  Le bruit de ses talons est trop sonore, impie. Elle abandonne à même le sol son manteau et se maintient dans un équilibre parfait le temps de déboucler les lanières qui maintenaient ses chaussures à ses chevilles. La ville est calme, sereine. Les bruits de la rue sont quasiment inexistants et les lumières sont rares aux fenêtres. Il est cinq heures, Sudri paresse.

Elle recule le moment de retourner plus en avant dans son appartement, elle en a bien conscience. Il ne peut être que Vide. Nero n’est pas assis sur l’un des grands fauteuils, un verre d' alcool doré à portée de main. Elle l’aurait vu. Aurait entendu sa respiration. Sa collection de bouteilles s’est étoffée, ces dernières semaines. Machinalement, avec l’attention qu’elle porte aux détails, qui lui permet de se souvenir de la plus insignifiante information, elle a retenu et acheté ses marques préférées, retrouvées certaines de ses bouteilles favorites. Leur faisant une place dans un meuble à moitié oublié.

Elle triche avec elle-même. Une cigarette oubliée sur la table d’extérieur, sans doute échappée du paquet quand il s’en est saisi, l’un des briquets qu’elle a déposés à côté d’un cendrier. La Sirène a aménagé son nid, pour lui. Pour qu’il soit à l’aise chez elle. Pour qu’il ait envie de rester, de revenir. De passer du temps à ne rien faire d’autre qu'être avec elle. Elle porte le cylindre de tabac à ses lèvres, l’embrase. Elle aspire une large bouffée de nicotine en s’accoudant à la balustrade. Et manque de s'étouffer dans une quinte de toux qui lui déchire les poumons. Les larmes aux yeux, Ania se redresse et poignarde la cigarette dans le cendrier. Rappel net et précis que les rares fois où elle fume, c’est avec une certaine précaution pour éviter justement ce genre de désagrément.

Elle finit par quitter la terrasse, refermant la porte vitrée, elle déambule dans le noir, sans se soucier d’allumer les lumières, confortable dans la pénombre. La porte de la chambre d’Anamaya est toujours fermée, l’enfant retrouvant sa légèreté perdue, à l’écart des bouleversements d’adultes de sa mère. La sienne est entre-ouverte. La jeune femme ne se souvient pas si elle l’avait fermé en partant mais ne s’attarde pas sur la question. La première chose qu’elle voit, ce sont les affaires de l’avocat, nettement pliées dans le coin en face d’elle. Alors seulement elle lève les yeux sur le lit.

Il est resté.

Malgré tout, il est resté. Il attend qu’elle rentre. Malgré les heures impossiblement longues, il n’est pas parti. Le drap le recouvre à peine et avec un effort d’imagination, elle pourrait presque croire qu’il vient de se réveiller. Que son absence n’a jamais eu lieu et qu’elle est simplement sortie quelques minutes pour aller chercher… du pain frais. Cette illusion se dissipe trop vite. Elle n’a que trop consciente de sa tenue. De cette robe noire qui lui arrive à peine à mi-cuisse, à la dentelle verte ajourée qui dévoile sa peau à des emplacements soigneusement choisis, de la manière dont il est redressé sur le lit, son regard dardé sur elle, souligné de larges cernes qui lui mangent les yeux. Il est toujours torse nu, le corps barré de draps propre. Il est resté et Ania ne sait pas analyser ce qu’elle ressent. Cela aurait été plus facile peut-être, s' il était parti. Elle n'aurait pas eu besoin de réfléchir à la seule question qui importe. Ses prunelles le dévorent du regard. Soulignent les traits marqués de son insomnie. Il est dans son lit. Il l’attend. Dans son lit. Ses jambes tremblent imperceptiblement sur le pas de sa porte.

Après un temps immobile bien trop long, elle parvient à bouger. Elle aurait aimé pouvoir se changer avant qu’il la voit. Qu’il ne soit pas obligé d’imprimer cette vision. La brune commence à le connaître assez pour savoir qu’il va engravé dans sa mémoire la moindre nuance, le mouvement des ombres, l’emplacement de chacune de ses mèches de cheveux. Et cette robe. Cette robe ne sortira jamais de ses souvenirs, liée à cette nuit interminable. Elle se rapproche du lit dans un silence pesant, une couverture de plomb entre eux. Elle s’assoit sur le matelas, face à lui. Cale une jambe sous sa cuisse, position naturelle qui fait remonter d’autant le tissu sombre sur ses bas couleurs chair. Face à lui, si proche. Sa minuscule pochette tombe sur le sol dans un bruit sourd, immédiatement oublié.

Une main qu’elle lève et découvre, non sans surprise, qu’elle ne tremble pas. Ses doigts se déposent sur son épaule, caressent sa peau fine avant de s’égarer sur le biceps dont les muscles sont au repos. L’épiderme est légèrement frais malgré la température. Ses yeux, son attention, sont entièrement tournés vers son bras. Vers son torse qui se soulève au rythme de sa respiration. La pulpe de ses doigts se déplace encore, jusqu'à ce que sa paume se pose sur son  plexus solaire. La nuque gracile se redresse, son regard revient vers le sien. Sa main libre entoure, tout en douceur, le côté droit de son visage, le pouce caressant à peine la peau si fine juste sous le menton. Le retenant, peut être, de détourner la tête. Puis vient le moment fatidique, celui qu’elle ne peut plus esquiver ou faire reculer. Son timbre est défaillant, trop grave mais rien ne peut entacher la compréhension des mots. Certainement pas son souffle sur les lèvres de son amant, tant elle est proche de lui, envahissante et impudique.

-Pourquoi tu es resté? Pourquoi es-tu resté, Nero? -Si la première question  était droite, la seconde est aiguë. Trahissant une hystérie encore contenue mais qui pourrait refaire surface en cas de silence. En cas de dérobade ou de non réponse. Les doigts sont plus sévères sur lui. Loin d’être douloureux, ils accrochent, exigent. -Pourquoi… tu… es resté -Articule t’elle une dernière fois. Pourquoi tu t’es infligé un tel supplice? Pourquoi souffrir cette humiliation de l’attente en sachant ce qu’elle faisait?
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMer 15 Mar 2023 - 23:46

Lorsqu’elle apparaît dans son champ de vision, il peut sentir toute une gangue de fatigue se refermer davantage sur lui. Elle est là. Si grande, même sans talons. Si imparfaitement parfaite, même sans maquillage. Et puis cette robe. Il manque d’en aspirer une bouffée d’air trop rapide, qui aurait pu lui arracher une toux douloureuse. Cette robe la transforme en un piège vénéneux sublime pour capturer toutes les bestioles volant autour d’elle ; en apparence inoffensive. Mais c’est bien elle, la prédatrice. C’est bien elle qui dérobera les pigeons prêts à se faire plumer. Ania Demitryé se tient là, superbe, et tout son corps semble lui faire plus mal encore d’avoir si peu dormi, de s’être tourné mille fois dans les draps vides de sa présence. Elle s’approche, et il n’effectue pas le moindre geste. Il la regarde, ne perd aucun de ses mouvements, tandis qu’elle se dépose à ses côtés. Bien sûr qu’il remarque la ligne de sa robe qui remonte, dévoilant sa jambe dont il s’est épris, à l’image du reste de sa silhouette. Il aimerait tendre sa paume, l'effleurer, la caresser. Il n’en fait rien. Il la laisse s’avancer, la laisse le toucher, baissant les yeux vers cette dextre, cette senestre, divines, capables de mille prodiges lorsqu’il s’agit de lui offrir sexe et affection. Il frissonne, à fleur de peau, jusqu’à ce que la pression qu’elle inflige traduise un autre message. Plus glaçant.

-Pourquoi tu es resté? Pourquoi es-tu resté, Nero?

L’accusation, sans doute possible.
La surprise, exsudée par les prunelles arctiques qui se noient dans leurs jumelles.
Lui répondre ne semble pas forcément être un gage de sécurité. Et pourtant, l’intention est claire ; sommé de lui fournir un semblant d’explication, elle ne paraît pas décidée à abandonner aussi aisément. Cette véhémence qui ne dit pas son nom le brusque, le heurte.

Il devrait réagir comme un homme. La repousser, réagir par le sarcasme, la distance, lui rendre coup pour coup, par le biais d’une froideur qui achèverait de lui geler les sangs. Il en est incapable. Comme il s’est senti incapable de quitter l’appartement vide. Il s’ignorait si faible, si fragile, avant elle. La réalité qui se dessine entre leurs deux corps côte à côte n’est pas reluisante. Il déglutit mal, ne cesse de faire papillonner ses mires, de son corps à ses traits moulés par un artiste amoureux. Un de plus. Combien de cœurs a-t-elle brisé, avant le sien ?

« Tu voulais que je m’en aille ? »

Il ne parvient à insuffler au creux de ses paroles qu'un frêle brin d’ironie. Une ironie douce-amère, qui ne fait qu’appuyer sur la plaie à vif. Sa main à lui finit par trouver le courage de s’étendre sur elle. Elle touche son ventre, le creux de sa hanche, serpente jusqu’à trouver le relief de ses seins qu’il aime autant que le reste. Il la vénère, de la tête aux pieds. Soumis depuis la première nuit à son influence, maudit d’avoir trouvé une putain capable de lui faire oublier qu’il était censé les haïr. Il l’aime. Il ne veut pas le lui avouer dans des conditions pareilles. Il craint trop qu’elle ne lui jette au visage ces quelques mots qui seront de trop, pour elle, si déjà le seul fait de voir qu’il l’a attendue la crispe et l’agace comme elle semble vouloir le lui montrer. Lui la caresse toujours. Elle est belle, cette robe. Pas forcément vulgaire, mais belle. Il reconnaît la bonne facture du tissu sous sa paume. Ania n’a jamais négligé l’apanage de la qualité sur ses tenues, même parmi les plus outrageantes. « Tu as dit qu’on pourrait parler, ce matin. Qu’on parlerait de ce que je voudrais. »

Il ne lui en veut pas, d’avoir changé d’avis. Sa bouche si proche lui donne envie d’y poser ses lèvres. Il n’en fait rien. À la place, il s’arrache à son emprise, repousse les draps dévoilant son corps nu et se relève, du côté opposé du lit où elle se tient. Il pioche méthodiquement, avec un certain contrôle, dans la pile de vêtements préparés la veille. Lui tournant le dos, il les enfile les uns après les autres rapidement, sans traîner. Il cache ses doigts gourds au moment de refermer son pantalon, de boucler sa ceinture, les phalanges malhabiles pour remonter les boutons d’une foutue chemise aussi noire que le reste ; le croque-mort des prétoires a revêtu son habit traditionnel, fidèle à ses bonnes vieilles habitudes qui, elles, semblent ne jamais ternir. « Je suis désolé. C’était sans doute indélicat de ma part d’être resté. Je peux déjeuner à l’héliport, si tu préfères que je parte tout de suite. » Ainsi, tu pourras te reposer de ta nuit éreintante, menace de laisser poindre la voix mauvaise qui a envie de hurler encore, de la maudire pour ce qu’elle leur inflige à tous les deux, sans cesse. Mais il se détestera de céder à une mesquinerie pareille. Il se rassoit pour lacer les chaussures au cuir rutilant qui fouleront dans quelques heures les couloirs impeccables du COS de Nordri. Cette visite-éclair sudrite lui apparaîtra sûrement comme irréelle. Un mauvais souvenir. En attendant, il a envie de crever, retrouvant cette sensation désagréable de liquéfaction interne, exactement comme la veille. « Tout s’est bien passé, cette nuit ? Tu n'as pas eu de problème particulier ? » La question lui a échappé. Elle ne comporte même pas cette pointe de méchanceté qu’il aurait pu y ajouter. Uniquement une hésitation qui le trahit, une voix moins assurée, moins ferme, que celle dont il use à l’ordinaire pour convaincre. Son blazer se refermant sur son buste comme une armure illusoire.

À chacun son cérémonial.
À chacun sa tenue d’apparat.
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyJeu 16 Mar 2023 - 11:12

Son pouls sous ses doigts, sa peau dont le grain ne cesse de l’émerveiller et dont le besoin de le toucher, de le caresser ne se tarit jamais. Elle est confrontée à trop de corps masculins pour en être encore émue, non? Néro est son exception. Celui qui balaie ses regles bien établies. Celui qui met à terre des défenses construites avec minutie. Celui aussi avec lequel elle commet le plus d'erreurs. Se comporte comme une parfaite idiote. Ania est ébahie. Effarée de voir à quel point elle vient se planter si profondément en quelques secondes. Comment a-t-elle pu agir d’une manière diamétralement opposée à ce que le moment, si délicat, nécessitait?

Au lieu de rassurer Nero, elle le braque. Au lieu de l’apprivoiser à elle, d’effacer la cruauté des heures qu’il vient de subir, elle l’agresse. Ses doigts s’immobilisent, paralysés devant l’amplitude de sa connerie. Savoir lire une pièce, une attitude, décrypter un homme font partie de ses compétences de survie, acquises dans la douleur où chaque faux-pas lui coûtait un client ou la plaçait en position précaire. Elle est écoeurée de sa propre connerie. Qui se cristallise avec les mots qui crépitent entre eux. Ses prunelles s’agrandissent devant la question qu’il lui donne en guise de réponse.

-Non. -Le non surgit sans réflexion, sans manipulation. Non, elle craignait cet appartement vide. Cette interrogation lui fait mal. Qu’il puisse se sentir malvenue. Non désiré. Retrouver une solitude ce matin n’aurait pas été un baume. Elle sait qu’elle aurait été dévorée par le doute, la peur, par tous ces fantômes grinçant qu’il est le seul à pouvoir retenir loin d’elle. Quand il est avec elle. Ils s’en donnent à coeur joie quand il est loin. Quand elle ne peut pas se rassurer de sa réalité d’un baiser ou d’une pression de la main sur la sienne.

Oh l'ironie, quand c’est lui qui gravit la dentelle de sa robe pour venir à sa rencontre. Comme un murmure rassurant, il ne lui en tient pas rigueur. Il comprend. Elle secoue la tête. Bouge sur le matelas pour se rapprocher de lui et se réchauffer au soleil de son toucher encore trop léger. Avec un temps de retard, elle ouvre les doigts sur son visage, qui rejoignent son cou, comme pour atténuer la possession vénale de ses caresses précédentes.  C’est si simple, finalement. Il n’est pas parti parce qu’il veut aller au bout de la discussion entamée et interrompue.

Sauf qu’elle n’est plus certaine de vouloir, en fait. Parce qu’elle ne sait pas trop  ce qu’elle pourrait lui offrir de plus. Parce qu’elle craint les sujets qu’il va vouloir aborder.  Il la connaît mieux qu'elle-même parfois. Il a dû sentir qu’elle ne serait jamais revenue sur un tel terrain volontairement.  Mais elle s’y est engagée. Elle lui a promis qu’elle répondrait aux questions qu’il peut se poser, qu’elle accepterait d’aborder tous les points restés dans l’ombre jusqu’à présent. Alors elle fera front. Alors elle ne va pas reculer maintenant. La catin devrait être fatiguée de sa nuit sans sommeil, mais l'adrénaline calcine ses veines. Elle ne pourra pas dormir avec une telle muraille dressée entre eux. Ce n’est pas que l'adrénaline qui retient l’épuisement à distance.

La brune ne trouve pas immédiatement les mots pour lui assurer qu’elle a bien l’intention d’accepter cet échange, aussi pénible promet-il d'être. Évidemment, il considère ce silence comme une confirmation de sa dérobade prévisible. Même une braise de colère alors qu’il glisse du lit, loin d’elle. Ania sait que le moment est mal choisi, pourtant son regard dévale son dos et ses fesses quand il se redresse loin d’elle. Oublie pendant un bref instant les écueils qui les séparent pour simplement se perdre dans la contemplation de ce corps qu’elle adore. Il s’habille d’un côté du lit, elle se déshabille de l’autre. La Fleur vénéneuse se remet sur pied et se contorsionne un moment, le temps de saisir la languette de métal qui lui permet de défaire la fermeture éclair de sa robe. Qui se retrouve bien vite oubliée au sol. Elle vire ses sous vêtements sans faire preuve de plus de soin à leur égard, elle s’en occupera plus tard. Un tee-shirt en lin blanc largement échancré qui ne cache pas grand chose de sa poitrine nue en dessous, un jean beige confortable feront parfaitement l’affaire pour l’instant. Elle est plus rapide que lui qui accroche chaque bouton de sa chemise noire avec une précision sévère. Ania contourne le lit et soupire doucement à ses paroles. -Je ne voulais pas que tu partes. Je suis désolée si je t’ai donné cette impression.

En quelques pas, elle est devant lui, cherchant son regard. Avec la délicatesse qui lui a manqué en entrant dans la chambre, elle se place entre ses jambes une fois qu’il a fini de mettre ses chaussures, passant ses doigts dans ses cheveux. Massant avec une pression maîtrisée son cuir chevelu. Elle s’incline vers lui alors qu’il continue de se préparer. Ses lèvres effleurent l'arrête de son nez dans un baiser à la légèreté libellule. -Je dois avoir de quoi préparer un petit déjeuner  vaguement passable. -Elle fait un vague effort pour avoir de quoi manger un minimum quand il est chez elle. -Mais vu mes talents culinaires, je comprendrais que tu choisisses celui de l’héliport. -La plaisanterie est trop faible. Mal à propos. Elle enchaîne rapidement. -Reste, on discute comme on l’avait prévu hier soir et je te raccompagne à l’héliport à l’heure pour ton transfert à Nordri.

Elle esquisse un pas en arrière pour lier ses mains aux siennes quand il la fige par une question en volée qu’elle n’avait pas vu venir. Une question directe sur les heures écoulées. Pourquoi ouvrir cette porte là? Sa veste est parfaitement ajustée sur sa chemise, zébrure noire face à la blancheur décontractée de sa tenue. Le ton est d’une banalité soigneusement étudiée. Oh oui, un peu de pluie mais le temps était assez beau pour se promener. -Non, aucun problème, j’ai dupliqué la puce facilement et elle a déjà rejoint ses nouveaux propriétaires et le scientifique va pouvoir briller à son congrès. Mon implication ne sera pas dévoilée.

Elle ne l’insultera pas en lui demandant s' il a dormi. C’est creusé dans son visage qu’il a veillé pendant les trois quart de son absence. Avec un temps de retard, ses mains achèvent son geste premier, retrouvant ses doigts pour l’enjoindre à se lever, à sortir de la chambre. -De quoi tu veux parler? -Elle est sobre et essaie d’être fiable. De ne pas se braquer quelles que soient ses questions. Ania n’a émis aucune restrictions sur les thèmes qu’il peut creuser et elle espère bien pouvoir tenir ce cap. Elle lui doit au moins ça, après ce qu’il vient de supporter pour elle. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit à l’aise, loin de là. Cependant, elle ne peut pas fuir éternellement.
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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyVen 17 Mar 2023 - 0:15

Manque d’oxygène.
Il commence à étouffer, dans cette chambre. Dans cette ville. Il se rappelle, en de tels moments, pourquoi Sudri lui est devenue insupportable. C’était comme si tout, entre ses remparts, s’acharnait à le tirer vers le bas, s’échinait à lui rappeler ce pourquoi il s’était épris de Nordri, désespérément. Sudri ne lui avait jamais laissé qu’une tonne de mauvais souvenirs en pagaille, de quoi effectuer un tri sans début ni fin. Nordri, c’était l’avenir. L’espoir d’une carrière florissante, d’un nouveau départ loin des siens, mais aussi loin de leurs turpitudes nocives.
Il ne comprend pas cette danse d’un pied sur l’autre qu’effectue Ania, déjà changée, lorsqu’elle lui fait face à nouveau. Il s’attarde sur les courbes de ses seins si proches, promesse cependant inaccessible. Il ne se relève pas pour lui échapper, la laissant se tailler une place entre ses jambes pour égarer sa main dans les mèches d’onyx. Cette tendresse lui fait du bien, mais il ne peut s’y laisser aller complètement. Plus maintenant. Échaudé par leur fonctionnement aux allures de cercle vicieux, perturbé par des revirements dont il n’est plus sûr de pouvoir prédire les circonvolutions, il préfère l’immobilisme, la passivité à la sur réaction. En l’état actuel des choses, la moindre pique mal placée, le moindre mot déplacé, et ce sera l’explosion. Ania ne lui semble pas aussi sûre sur ses jambes qu’elle en a l’air. Quant à lui, il n’a même pas essayé de se redresser sur les siennes. Voilà à quoi ressemble leur couple dépareillé, qui sait, voué à l’échec, mais pas avant d’être certain que la situation ne soit irrémédiablement compromise. Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Les scénarios ne manquent pas de peupler son imagination fertile, qu’il verrouille cependant avant de s’y égarer trop loin. Ses baisers, le toucher évanescent de ses phalanges, le plongent dans un état cotonneux, doux-amer. Ce n’est pas qu’il lui en veut. C’est qu’il ne saisit pas les intentions profondes de son amante. Il pressent que la conversation qui s’amorce lui sera douloureuse. Elle ne sera pas plus tendre pour lui. Le temps les presse, et ce genre d’échanges en demande beaucoup. Le résultat sera forcément difforme, amputé, abîmé par leurs approximations et la peur qui terrasse leurs entrailles.

Il ne dit rien. Il ne la repousse pas, ne la contredit pas.
Elle l’incite à la suivre ; il embraye le mouvement avec fluidité, se déplaçant comme dans un rêve. Il ne parvient toujours pas à sourire, trop perturbé, bien que sensible aux efforts de la putain. Ce n’est qu’une fois dans la cuisine que ses phalanges se libèrent des siennes, pour la deuxième fois. Il acquiesce vaguement, heureux de voir que la mission d’Ania s’est déroulée sans accrocs. Pour autant, il l’observe encore, cherche sur les pans de peau dévoilée les traces de marques. Violence infligée ou acquiescée, cela revient au même. Battant des paupières, il frotte encore un peu ses yeux, avant de s’appuyer contre l’îlot central, baissant la tête vers la surface marbrée, impeccable.

« C'est gentil, mais ne t'embête pas. Je n’ai pas faim. »

Rien ne passerait. Même pas un café. Il est trop tôt. Il a trop à recracher avant de pouvoir accepter l’idée d’ingurgiter quoi que ce soit. Dehors, l’aube continue d’étendre son empire sur la ville alentours, accordant à la terrasse une couverture de lumière chaude et attirante, qui lui donne envie de se réfugier sur ses dalles claires. De goûter l’air encore frais, vierge de la pollution à venir, avant de s’enfermer dans une navette pour quelques heures. Il ne bouge toujours pas, cependant. Ses lèvres s’entrouvrent à plusieurs reprises, sans savoir comment enchaîner. Comment lui répondre. De quoi veut-il parler ? De tant de choses, comme de rien. Il lui serait tellement plus facile de prendre ses bagages et de partir, marquant là le point final jusqu’à leur prochaine rencontre. Tellement plus facile. Il se remercie de n’avoir pas cerclé son cou d’une cravate qui n’aurait pas manqué de l’étouffer. Le col de sa chemise entrouverte lui paraît déjà de trop, et sa paume masse le larynx, effleurant la pomme d’Adam, pour mieux descendre jusqu’au diaphragme contracté.

« J’aurais voulu que ça se passe autrement. Ce n’est pas… ce n’est pas bien, d’en parler maintenant. » Ils sont tous les deux épuisés, chacun à leur manière. Jusqu’à la dernière seconde, il pèse le pour et le contre. Le silence ou l’aveu. Il se redresse, s’écarte d’un pas ou deux, comme dans l’idée de refluer vers la partie salon, sans s’y résoudre totalement. L’appartement lui semble soudain trop grand pour lui. Même pour eux deux. Puis, presque par accident, ses prunelles s’accrochent à elle. « Je t’aime. » Il ne lui donne pas l’occasion d’une contre-attaque, ni de le conforter dans ses sentiments. Une main se lève, péremptoire. « Ne réponds rien. Ne… ne me dis pas que tu ne peux pas l’accepter. Ne me dis pas que toi aussi. Ce n’est pas maintenant, que j’aurais voulu te le dire. Je crois que je ne m’en étais même pas rendu vraiment compte avant-hier soir. Alors laisse-moi aller jusqu’au bout, sans m’interrompre. Après, j’irai prendre mes affaires, et je commanderai un taxi pour l’héliport, seul. Et toi tu iras dormir, parce qu’il est hors de question que tu conduises après une nuit blanche. »

Il pousse un soupir, comme on prendrait de l’élan avant de sauter dans le vide. Sa décision prise, son regard ne dévie plus du sien, lorsqu’il reprend. « Je ne suis pas ce que tu crois. Je ne suis pas qui tu crois. Tu ne m’as jamais posé de questions, et je ne me suis jamais empressé de les devancer. Mais il y a certains aspects de moi, de ma famille, que tu ignores. Il est trop tôt, ou trop tard pour rentrer dans les détails, pourtant je peux au moins te dire... » Une inspiration. « Tu m’as demandé hier, si je voulais épouser une pute de la Ville basse. Comme si tu n’étais réduite qu’à ça. » Un sourire sans joie. « Tu ne fais plus partie de la Ville basse depuis longtemps. Tu t’es élevée, désormais. Tu serpentes dans les rangs de la Haute, et tu t’y es taillée une place accomplie. Tu ne bernes personne. Sauf toi-même, peut-être. » Il capitule le temps de fixer le sol, de ramasser son courage. De lui donner une borne de plus pour, peut-être un jour, le broyer lui et les siens. « Ellundril Uffingham… C’est ma mère. Elle a épousé mon père très jeune. Trop jeune, sûrement. Le mariage idéal, tu dois te dire. L’entre-soi parfait. » Il l’affronte de plus belle, inclinant son visage, imperceptiblement. Ne tremblant pas au moment d’articuler : « Ma mère était une pute de la Ville basse. Et elle l’est restée, jusqu’à ce que ma famille la prenne sous son aile. » Ça y est. Il vient de se tirer une balle dans le pied. Un rire nerveux agite ses épaules d’un soubresaut. « Voilà. Maintenant, tu vas pouvoir te dire que… que j’suis le genre de malade qui gère ses traumas personnels en marchant sur les traces de ses parents, que je cherche ma mère dans les bras de toutes celles qui ont terminé dans mon lit avec du fric à la clef. Mais c’est pas le cas. » Une nuance honnête. « Parfois, tu lui ressembles. Parfois, tu fais des choses qui me rappellent elle. Mais vous êtes très différentes. Ce serait… mal, de vous comparer. »

La conserver dans son champ de vision devient une gageure difficile à affronter. Il s’accroche à de multiples détails, jalonnant l’espace entre eux deux. Tout pour mieux faire passer la pilule, les mots. « Moi, je voudrais bien t’épouser, oui. Parce que moi aussi je me sens bien avec toi. Mais je… J’ai bien entendu, ce que tu m’as dit hier soir. Que tu n’es pas prête. À arrêter, et puis sûrement à d’autres choses. » Il s’oblige à faire refluer toutes les mauvaises pensées qui ont parasité sa nuit, qui l’ont rendu malheureux à en crever. Elles n’auront aucune autre utilité que de plomber leur échange davantage. « Si je peux faire quoi que ce soit de mon côté… pour t’aider à avancer, à changer de vie… si c’est quelque chose en moi qui t’empêche de te projeter comme j’ai envie d’essayer de le faire, avec toi… dis-le moi. Je ferai tout mon possible pour nous donner une chance. Tout ce que je te demande, c’est de ne jamais m’obliger à revivre ce qu’il s’est passé hier soir. S’il te plaît. »
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyDim 19 Mar 2023 - 16:26

Si elle lutte si fort pour instaurer le plus de calme entre eux, pour ne pas perdre un contact physique avec sa peau, avec ses cheveux, c’est parce que ne  rien faire serait tellement plus facile. Aller se mettre contre le mur opposé de sa chambre, croiser les bras et le laisser partir pour Nordri. Cesser de prolonger la lente agonie de ces dernières heures. Ania a conscience que son départ sans qu’ils ne se parlent, sans exciser le poison qui circule entre eux serait placer une pierre tombale sur le cadavre de leur relation naissante. Ce qui serait peut-être faire preuve de clémence envers Nero plutôt que de continuer à s'accrocher à cette relation bancale. ils ont essayé, ils ont échoué, adieu. Ils se séparent sans regrets.

Facile. Une facilité qu’elle repousse dans cette aube sudrite trop lumineuse pour la grisaille qui lui bouffe le cœur. Elle va à  contre-courant de sa nature qui lui a enseigné à ne pas s'intéresser à un homme au-delà de ce qu’il peut lui apporter comme gratifications financières immédiates ou influences sociales qu’elle pourrait manipuler à sa guise. La putain n’est pas aveugle. Le jeune avocat talentueux, sa famille établie à Sudri depuis la création du Quadra coche parfaitement ses cases là.  Elle s’étouffe dans ses propres contradictions. Séduire le jeune héritier de la dynastie Uffingham, l’enrouler autour de son petit doigt et le réduire à un simple pantin dans l'ascension de sa carrière de courtisane vers les plus hautes sphères de Sudri est d’une logique imparable. Cette idée lui est odieuse.

Elle perd dans toutes les configurations. Il part à Nordri, il sort de sa vie et elle va devoir apprendre à camoufler la souffrance de son absence, à amputer une part d'elle-même en pleine floraison. Il reste, ils parviennent à adoucir la brutalité de ce coup qu’elle lui a porté et elle l’expose à des rumeurs immondes qu’il ne pourra réfuter, le doute concernant leur véracité enraciné dans la naissance de leur liaison. Après tout, elle est une pute. Peut-elle nier en toute conscience vouloir tirer avantage d’un compagnon tel que lui?

Déchirée d’indécisions, sans pouvoir compter sur ses intuitions, elle manque de son assurance guerrière. Ses caresses sur lui sont instables et fragiles. Elle ne lui tiendrait pas rigueur d’être repoussée, elle s’y attend. Pendant de courtes secondes pourtant, Nero s’y abandonne jusqu’à ce qu’elle l’enjoigne à quitter la chambre. La pièce lui devient désagréable. Mauvais théâtre de vaudeville et le lit défait aux draps propres est un rappel cinglant de son absence et de la manière dont son corps a été le terrain de jeu d’un autre que son amant.

Retrouver la cuisine, terrain neutre tant Ania n’y passe qu’un temps superficiel ne change pas drastiquement la tension pesante qui les éloignent. Sa proposition de préparer un petit déjeuner a une chance sur deux d’aboutir à un résultat gustativement précaire. Pas plus mal qu’il refuse. Le regard sinueux qu’il délivre sur ses formes n’est pas analysé, elle a du mal  à détacher les yeux de l’avocat quand ils sont ensemble. Elle pourrait se gifler devant la quantité de mièvrerie dont elle fait preuve. Pas ce matin, ce matin n’autorise pas la moindre légèreté. Un verre d’eau qu’elle se sert et dont elle boit une gorgée, juste pour se donner une contenance. Appréciant la fraîcheur du verre entre ses doigts maintenant qu’elle a relâché son étreinte sur la main de Nero.

Son bref  préambule n’est pas matière à la rassurer et dans l’hésitation qui la suit, elle ouvre déjà la bouche pour le couper. Pour lui assurer que ce n’est pas nécessaire. Que ce qu’il a à lui dire, à lui demander ne peut être si important que cela ne puisse être repoussé. Il est probable qu’il lit sur son visage ses objections, qu’il devine qu’elle va balayer leur échange d’un revers de main. Sans lui en laisser le temps, retrouvant un peu de distance, il ne le lui permet pas. Son regard accepte le poid du sien, ses prunelles d’un bleu moins soutenu que les siennes arriment à ses glaces. Ania le regrette immédiatement. Il l’aime et sa déclaration sonne comme l’aveu d’une défaite. Ho comme il avait raison. Elle n’avait pas envie de l’entendre de cette manière. Pas ce matin funeste. Pas dans ses conditions aussi broyantes. Il la silence, d'un geste et d’une parole. Douloureusement, elle incline la tête. Ania peut se taire. Pas comme si elle sait ce qu’elle lui aurait répondu.

Le désir, la convoitise, l’ivresse des sens, le jeu des charmes et des ombres, elle est maestro. L’amour? L’Amour n’est qu’une notion romantique désuète et inutile. Le sentiment amoureux ne fait pas partie de ses émotions.

Il reconnaît n’en avoir pris conscience que récemment. Peut être est un simple malentendu, une confusion de ses envies. Elle n’en dira rien. Garde la bouche close à cette éventualité.  La moue plus sévère de sa bouche à la suite. Le laisser aller seul à l’héliport sous le prétexte qu’elle dorme? Il ne peut être sérieux. Une nouvelle gorgée d’eau, l’incitant à poursuivre. Angoisse latente qui prend de l’ampleur. Ce n’est que la mise en bouche, c’est limpide. Ania n’a reculé que pour sentir l’angle de la table contre le bas de son dos. Soutien physique dont elle va avoir besoin. Elle accepte les paroles à venir et le lui prouve de la seule manière qui lui reste, son regard solide et calme sous la tempête qui menace de s’abattre avec une fureur renouvelée. Une pointe de curiosité quand il évoque sa famille. Si puissante Famille. Bien sûr, elle connaît déjà le nom de ses parents, de ses grands-parents et de la plupart de ses cousins. Liste de noms sur des dossiers qu’elle a parcouru sans chercher la faille, ses antagonismes avec le légiste résolus avant d’avoir besoin de recherches plus approfondies. Elle ne relèvera pas son appartenance à la ville Basse ou Haute. Il ne peut pas comprendre, il ne s’agit pas d’une question de compte en banque. Certaines des sphères de la ville haute lui sont fermées, elle n’a pas d’illusions sur ce sujet. Quant à l’épouser? Il ne peut pas avoir pris au sérieux sa réflexion, n’est ce pas? Elle n’est pas une femme qu’on épouse. Elle est de la catégorie de celle qu’on baise et qu’on ne revoit pas. Déjà leurs quelques mois volés à la réalité auraient dû tirer la sonnette d’alarme. Elle n’épousera pas Nero Uffingham. Elle peut au moins lui épargner ça.

Il prend trop de précautions pour parler du mariage de ses parents. Son regard l’abandonne et elle ancre fermement ses pieds sur le dallage froid de la cuisine. Il livre une lutte interne avant de la regarder de nouveau. Une main s’accroche au rebord boisé de la table, l’autre autour du verre d’eau qu’elle vide de moitié en une gorgée. L’enclume qui lui tombe sur la gueule, elle n’aurait pas pu la deviner. Ania émet un petit son étranglé de surprise horrifiée. Bien sûr qu’elle se demande immédiatement à quel point elle joue un rôle sordide dans elle  ne sait quel conflit interne il règle avec ses parents. A quel point il se place consciemment dans le même schéma, lui dans le rôle de son père et elle dans celui de sa mère? Et Si Néro lui assure que ce n’est pas le cas, ce sera exactement  ce qui sera la première pensée de chacun des membres de sa famille. Sauf si elle ment, bien sûr. Si elle dissimule son passé. Sauf… Elle a envie de balancer son verre à travers la cuisine. Sauf qu'elle n'est pas la plus discrète des putes de Sudri, n’est ce pas! Sa notoriété lui assure d’être reconnu à un moment ou à un autre, si pas un membre direct, par une de leurs connaissances.

Non. Merci non merci. Ce genre de panier de crabe familial, elle n'en veut pas. Elle a délibérément disparu du champ de vision de l’unique personne dont elle partage le nom, ce n’est pas pour se faire aspirer par le bourbier d’un autre. Et comment, et comment simplement le croire quand il assure qu’il ne s’agit pas pour l’une forme de thérapie bancale et sordide? Elle décroche un à un ses doigts de la table. Repousse nerveusement une mèche de cheveux qui lui barrait le front. La gorge asséchée, désertique. L’eau qu’elle avale n’a que d’impact. Parfois elle ressemble à sa mère et d’autres fois, non. magnifique. Comment peut-il se placer dans de tels sables mouvants? Il veut une rupture avec les Siens et elle en est le prétexte? Qu’il se pense amoureux d’elle ne justifie pas qu’il s’expose à une telle brutalité. Il ne peut pas attendre une issue positive de l’imposer comme sa compagne. Le teint d’Ania a viré au pâle, et elle se sent au bord de la nausée. Il voudrait bien l’épouser. Il est sérieux. Et Suicidaire. Il se sent bien avec elle. Comment peut-il faire abstraction du reste? Être bien avec elle ne suffit pas. Ne lui suffira jamais. Sa réaction quand elle a mis en danger le travail de son cousin. Quand elle a parlé de sa petite cousine. La rage meurtrière quand elle les a menacé. Non, il y a de l’amour, de l’amour profond, nourri par des années, par une enfance partagée, par des conneries et des connivences qu’elle ne peut imaginer. Il tient à sa Famille. D’une manière qui lui est incompréhensible. Il finirait par la détester d'être la raison d'une rupture avec ses proches.

Ania en est plus convaincue que jamais. La seule voie pour qu’il ne sombre pas est de l’éloigner d’elle. De se montrer si mauvaise qu’il ne pensera à elle qu’avec amertume et dépit. L’épouser? Rencontrer ses parents en sachant qu’il s’engage dans un chemin conforme à celui de son père? Celui qui a sorti sa mère du turbin? C’est certain que tout va bien se passer! C’est presque en titubant qu’elle traverse la pièce, absolument muette. Elle ouvre un cabinet. Attrape la première bouteille. S’écoeure d’agir exactement comme son père le ferait. Mais il semble que ce soit le thème du moment. Tel père, tel fils, telle fille, qu'importe la classe sociale. Elle boit une longue gorgée. Puis deux. Son estomac vide se contracte sous la brûlure de l’alcool. Mais elle ne vomit pas. pas encore. Se tourner vers lui lui demande un effort colossal, herculéen. se raccroche à sa dernière demande. La seule qui lui prouve que Nero est encore sain d’esprit. Ne pas réagir en le démolissant de quelques mots lui demande de se contenir.  Il a offert une vérité nue et laide. Il s’est exposé, vulnérable. Elle refuse de le lui faire regretter. Refuse que cette ouverture de sa part se solde par une blessure cruelle.

-Je ne sais pas comment réagir à ce que tu viens de me dire. -Sa mâchoire lui fait mal, sa gorge peine à articuler les mots nécessaires. La Sirène ne s’est pas rapprochée de lui, respectant scrupuleusement la distance qu’il a instauré. Qui peut être, est un soulagement douloureux. Impose son regard dans le sien, lui offrant le même respect dont il a fait preuve. -Je ne te remettrais plus jamais dans une telle position qu’hier et ce matin. Ca, je te le jure. Tu ne revivra jamais ça et je suis tellement, tellement désolée de te l’avoir imposé. -Promesse solennelle qu’elle ne brisera pas. C'était trop insoutenable, pour elle comme pour lui. -Ta mère. Qui est au courant de son passé? Uniquement ton père et toi, ou? -A quel point son histoire est un secret ou librement accepté? La bouteille lui fait de l'œil, tentation malsaine. Ania se refuse de céder tout de suite. -Est ce qu’on peut laisser de côté la question d’un mariage? Si tu n’as pris conscience de tes sentiments qu’il y a soixante-douze heures, parler mariage est un brin précipité, non? -la voix de la raison, de la sanité. Très cartésienne. Et surtout, le silence total sur ce qu’elle ressent pour lui. Parce qu’elle est bien incapable d’avoir une vision simple de ses sentiments. Le ton est si doux quand elle reprend -Anamaya est une Ase. Voilà qui devrait tuer ce sujet. Il est férocement anti-ase, supporte à peine l’idée d’avoir protéger une mutante et sa famille est ouvertement anti-ase. Epouser Ania, c’est faire entrer une Ase en tant que sa belle-fille. Nero est assez intelligent pour comprendre l’impasse.

-Il n’y a personne d’autre avec qui je pourrais me projeter. Tu es le premier, le seul à provoquer ces questions. Mais je ne suis pas, je ne serais jamais un cas de charité, celle qu’il faut arracher à une vie de vice et immorale pour en faire une femme de bonne réputation. Je ne subis plus ma profession depuis des années, j'en choisi la direction. Si j'arrête… pour nous, ce n’est pas parce que j’ai besoin que tu  me“sauves” mais par ma propre volonté. -L’indépendance qu’elle a arraché à seize ans, il lui est envisageable de la perdre parce qu’elle accepte de se tenir à ses côtés. Il n’est pas question qu’il dicte son comportement bien qu’elle ne refusera jamais ses avis. -Tu voudrais quoi? Que j’adopte la trajectoire de ta mère? Que j’arrete de tapiner pour disparaitre de la scène sociale de Sudri pendant quelques temps, revenir en hôtesse philanthropique de plusieurs organisations caritatives? -Il n’y a pas de jugement. Elle tente de comprendre pourquoi il lui révèle un élément si important de lui même, alors qu’il n’y était pas obligé. Pour se montrer sincère envers elle et qu’elle ne le découvre pas autrtement? Pour lui montrer qu’effectivement une vie est possible en dépit de racines dans le caniveau?

-Comment est ce que tu t’entends avec tes parents? - Sa demande n’est pas anodine. dis moi que tout va bien. Que tu as un environnement sain, que malgré le miroir que tu me tends, ça n'a pas d’impact, puisque tu as une relation apaisée et que non, ramener une pute à ton tour n’est pas un moyen de… donner un coup de pied dans la fourmilière. Que je ne suis pas un outil, un moyen détourné de prendre une revanche. Et parce qu’ils sont sur le sujet… -Mon  père est un ivrogne. Un alcoolique violent, qui a commencé à me taper dessus  un  peu avant la mort de ma mère. Je suis devenue son punching ball personnel entre treize et seize ans. Je me suis barrée de chez moi juste avant mes dix-sept. Il commençait à me regarder d’une sale façon et j’ai pas eu envie d’attendre qu’il se décide à tomber dans tous les clichés. Je ne l'ai pas revue depuis et ça me va très bien. Pas de belle-famille à te présenter, tu seras tranquille sur ce sujet. -En partant du principe que leur histoire survivre aux prochaines heures, ce dont elle n’est absolument pas certaine. Elle sent absolument misérable et l’expression de Nero est jumelle de la sienne. -tu dois bien voir comment tout s’aligne pour nous démontrer que Nous deux, c’est une folie irresponsable. Comment les tiens réagiraient si tu me présentes telle que je suis? Ou il n’était pas question d’assumer un couple public? ou d’attendre que je sois “respectable” et espérer que personne ne pose de question? Que je dissimule ?

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Nero S.H. Uffingham
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyLun 20 Mar 2023 - 9:02

À peine s’est-il tu, que l’avocat a regretté.

Le manque de sommeil, l’érosion de ce qu’il croyait être une forteresse imprenable – sa sauvegarde personnelle – la présence de la jeune femme à quelques pas… Il ne saura jamais ce qui a provoqué cette fuite, cette bombe déposée là de bon matin, entre leurs deux corps fatigués. Il ne parvient pas à s’en vouloir totalement. Mais il n’a qu’à regarder le visage décomposé d’Ania, la pâleur anormale de son teint, pour comprendre la gravité de ses aveux. L’impact qu’ils ont produit sur elle. Il n’aurait pas dû. Il est trop tard pour s’en mordre les doigts. Prêt à assumer les conséquences de ses actes, il n’a ni reculé, ni avancé. Il craint qu’un mouvement de trop ne fasse exploser quelque chose, comme s’il se trouvait devant une pyramide composée de cristal, prête à s’effondrer à tout instant. Un courant d’air, une fraction de seconde d’inattention, et la catastrophe sera complète. Tant que la pyramide tient, tant que les lois de la physique resteront protégées dans leur intégrité quelques secondes de plus, il pourra se permettre d’espérer.

Il n’est pas dupe, cependant. Tout le corps d’Ania dégage une palanquée d’ondes fulgurantes. Il est certain qu’en la photographiant à l’instant même, la pellicule saurait faire ressortir les fumerolles radioactives d’une colère froide, d’une gêne intense, dont il est le seul responsable. Un peu de honte s’est glissée dans son état désabusé. Il n’aurait pas dû. Et pourtant, il se sent en partie soulagé. Le mensonge, l’esbroufe, il les réserve au COS. Aux juges. À ses clients, même, régulièrement. Mais pas à elle. Mentir à Ania est la dernière chose qu’il compte inscrire sur sa liste de priorités. Et comme il aimerait, à la voir maintenant, faire partie du camp de ceux pour qui patauger dans l’imposture est aussi naturel que de respirer. La putain se redresse, se déplace, et son amant carre légèrement ses épaules, s’attendant à tout. Il attend d’entendre le cristal exploser à terre. Il attend de se voir crucifié par une condamnation en bonne et due forme. Il ne la fuit pas. Il attend. Ses yeux s’agrandissent, lorsqu’elle s’empare d’une bouteille d’alcool. Il ne fait rien pour l’en empêcher ; ce seul geste confirme ses craintes en la matière. Le retour de flamme se promet terrible.

Elle parle.
Il l’écoute.
Sans l’interrompre, malgré toutes les questions qui pleuvent. Lui aussi la respecte, la remerciant en silence de l’avoir laissé aller jusqu’au bout, même pour un tel résultat. Sa gorge se serre, lorsqu’elle le blesse peut-être sans s’en rendre compte. Il se sent tel un gamin éconduit, un enfant amoureux que l’adulte, fruit de sa convoitise innocente, tourne en dérision avec à peine assez d’affection pour le rassurer selon les règles. Ania ne foule pas ses sentiments du pied. C’est bien pire que ça. Le comble, c’est qu’il ne peut même pas lui rétorquer un argument béton en retour. Alors il se tait toujours. Raide comme cette justice de laquelle il se revendique, de sa place étrange et ambigüe, il conserve toute la dignité qui hante sa nuque droite et sa mâchoire aux mandibules crispées sur sa frustration. À force d’entendre les accusations plus ou moins affirmées, il finit par sentir un brin d'humeur monter, bien qu'encore sévèrement verrouillée par sa volonté de ne pas les voir finir voler en éclats, eux aussi.

« Je sais qu’Anamaya est une Ase, merci. Qu’est-ce que ça change ? » Ça change tout. Il n’est pas prêt, non, à faire entrer une gamine comme elle dans sa famille. Lui-même a encore des difficultés à appréhender la nature de mutante de l’enfant dont il a peur, parfois. Entre deux moments d’une complicité qui se crée par la force des choses, entre deux après-midi passées à lui apprendre à nouer ses lacets ou à la garder en l’absence de sa « mère », toujours, les mêmes interrogations qui reviennent, ponctuant leur relation d’un faisceau inquiétant. Et si son don s’affole ? Et si elle tuait de nouveau quelqu’un ? Et si c’était moi ? Anamaya l’effraie, oui. Pour ce qu’elle représente. Pour le danger qu’elle leur fait courir à tous les deux. Et pourtant. « Anamaya est déjà rendue invisible aux yeux de la société. Et je te signale que, là-dessus, j’y suis plongé jusqu’au cou. Anamaya, c’est pas un argument à me jeter au visage parce que ça t’arrange. »

Il soupire. Humecte ses lèvres d’une langue nerveuse, s’attardant sur sa lèvre inférieure ; signe d’alerte de futures mutilations, une fois hors de la vue de son amante. « Ça a toujours été compliqué, avec mes parents. Mon père… » Il lève les yeux vers le plafond. « Mon père ne m’aime pas. Je l’ai toujours déçu, et… lui et moi, on n’a jamais été proches. Tout ce que je fais n’est jamais assez bien, ou alors je ne l’obtiens que par la chance ou le hasard, selon lui… Ce genre de trucs. Quant à ma mère, j’ai une relation assez distanciée avec elle. Partir de Sudri m’aura au moins évité d’avoir à les fréquenter tous les jours. Y’a eu… y’a eu de sales moments. » Il ne rentrerait pas dans les détails. Ni dans les scènes voyant Altan flanquer une raclée à sa femme par désespoir, ni dans les frasques d’Ellundril cherchant dans certains excès de quoi saboter une relation tronquée depuis les premiers instants. Il ne parlerait pas des mains tendres mais baladeuses, ni des déshabillés de soie devant une coiffeuse aux loupiotes aveuglantes, ni de ces rouges à lèvres écarlates, ni de ces siestes tendancieuses. Ce n’était certainement pas le moment. Même son honnêteté avait des limites. « Moins je vois ma famille, mieux je me porte. Surtout en ce qui concerne certains membres, à commencer par mes parents, en effet. »

Il finit par enfouir ses mains dans ses poches, se campant sur ses jambes, en arborant un air contrarié. « J’m’en fous de savoir si les étoiles sont alignées ou pas, Ania. Toi et moi, c’est de la folie depuis le début. Mais ta vie et la mienne séparées sont déjà des folies à l’état pur, pas vrai ? » Il hausse un sourcil, appuyant dans son timbre d’une note plus ferme. « Qu’est-ce que tu crois ? Qui est sain dans cette putain de ville ? Dans le Quadra tout entier ? Tu crois que ce monde part pas en couilles tous les jours ? Faut en plus qu’on s’ampute des choses qui nous permettent de rendre la vie supportable ? Parce que personnellement, j’en ai pas envie.  » Il extirpe finalement rapidement ses doigts de leur gangue de tissu et s’approche d’un pas ou deux, avec précaution. Il la connaît parfois féline et vive, et ne tient à investir sa sphère personnelle qu’avec prudence. Il ne la touche pas. Les pointes de ses phalanges dirigées vers le bas, mais écartées, comme pour mimer discrètement une attitude inoffensive. « Je ne t’ai rien demandé. Je ne t’ai pas demandé en mariage maintenant, dans la cuisine. Je n’ai pas exigé que tu arrêtes dès aujourd’hui, je ne t’ai jamais parlé de te planquer ni d’attendre que tu deviennes respectable. Je t’ai juste dit le fond de ma pensée. Parce que oui j’y pense bordel, et j’ai pas l’impression que ce soit si grave de… juste y penser. »

Il pinça ses narines quelques secondes, fermant les yeux. Il allait finir par se déclencher un saignement de nez, tant il pouvait sentir la pression s’accumuler dans ses veines, le sang cognant durement ses tempes. « Ma mère, c’était une autre époque… Une époque de chaos, dans la Ville Basse. C’était pas comme aujourd’hui. De nos jours, c’est le bordel, mais un bordel organisé. De leur temps… c’était la folie pure. On retenait les choses moins bien que maintenant. Les archives, c’était pas la priorité, tu te doutes bien. En tout cas pas pour ce qui concernait la lie de la populace… Ma famille le sait. Toute ma famille. Les deux autres clans qui nous ont aidé pour ça, aussi. Et ceux des bas-fonds impliqués. Je ne connais pas tous les détails. Uniquement les grandes lignes. » Son regard se fit plus dur sur elle. « J’aimerais quand même que tu restes lucide sur la comparaison entre vos deux situations, et que tu ne déformes pas mes propos. Je viens de te le dire : je sais que tu n’as pas besoin de moi pour t’en sortir, bordel ! Ma mère a connu les passes dans un cadre totalement différent du tien. Si elle avait besoin d’être sauvée comme tu dis, je sais que ce n’est pas ton cas. Alors ne commence pas. »  

Il fait demi-tour, lui opposant son dos pour reprendre son souffle et ne pas permettre à son agacement de grimper d’un cran. Elle ne lui a pas répondu, sur ses sentiments. Il s’y attendait. Mais le silence qu’elle a conservé ne le rassure pas pour autant. « Oublie l’idée du mariage et compagnie. J’ai parlé à la légère, sans réfléchir. Si c’est ce qui doit t’éviter de freak out, alors tu as raison. Je suis désolé, j’aurais dû me taire. Sur ça, et sur le reste, sûrement. » Il lui a donné exactement les cartes qu’il fallait pour les faire replonger tous les deux. Pour qu’elle revienne à la charge avec tout un plaidoyer en faveur de leur rupture, de la nocivité d’une relation qui, par miracle, a déjà duré bien plus longtemps que les pronostics hasardeux de la putain. Il sort de la cuisine, se dirige mécaniquement vers la chambre. Automate, il récupère ses affaires, exactement comme prévu. Un aller retour fluide, rapide, tandis que déjà, leur échange commence à tourner dans son crâne, alimentant un risque de migraine. Il lui revient, déposant son sac à ses pieds avant de s’emparer de son mobile, dans l’intention de convoquer le taxi déjà évoqué. Il fixe l’écran avec obstination.

« C’était immature de ma part. » Ses doigts pianotent avec une rage dirigée à l’encontre des touches tactiles, faisant pleuvoir les commandes et les ordres avec une aisance de robot. Ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. « Je vais te laisser tranquille. Quand tu auras envie qu’on se revoie… Tu me le diras. » Une douleur fulgurante, éclair foudroyant son dos depuis ses reins jusqu’à son échine, fait trembler son bras et lui fait serrer les dents à en faire grincer l’émail. La tension. Il voudrait se justifier. Lui expliquer qu’il n’est pas l’un de ces malades obsédés par un Œdipe irrésolu. Mais le mal est fait. Elle ne pourra plus le voir autrement, désormais. En commettant cette erreur fatale, il songe déjà à toutes les manières de rétropédaler, de la convaincre qu’elle a eu raison de lui faire confiance, de naviguer à vue entre deux retrouvailles, d’une ville à l’autre. Néanmoins, il porte la conviction mauvaise, le pressentiment que chercher à se disculper ne ferait que l’enfoncer un peu plus. Les innocents font de mauvais accusés, il le sait mieux que personne. Et puis d’ailleurs, il n’a pas vraiment la casquette d’un innocent. En lui fourmillent les vices cachés qu’elle a su réveiller, sans encore réellement les lui extorquer. Patiente, Ania a toujours procédé avec une méticulosité, une patience sur le plan de l’intime pour laquelle il l’envie et l’admire. Privilégiant la passion aux extravagances, ces derniers mois ont vu la jeune femme chercher à faire fondre la glace. À lui donner envie de plus, sans pour autant le brusquer. Et lui, coincé entre des pulsions en sommeil et des blocages ancrés dans sa psyché, se laissait doucement dériver sur le sérac qu’elle dégelait pour lui. La honte n’est jamais très loin, lorsqu’il s’agit d’assumer l’homme qu’il demeure. Mais comment parvenir à la surmonter, lorsque la vérité produit de telles réactions ? Comment lui dire, lui hurler, à quel point chaque fibre de lui appelle la femme toute entière qu’elle représente ? Il balance le téléphone sur le comptoir. L’opération n’a pris que deux ou trois minutes.

Il ose à peine la regarder, lorsqu’il s’avance à demander. « Je suppose que… » Non. Non, ça suffit. Ferme ta gueule. Dans une volte-face, il se réduit lui-même au silence, récupérant clopes et briquet pour préférer se réfugier sur la terrasse, au bord de l’implosion.
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Ania Demitryé
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MessageSujet: Re: L'ecarlate des Silences ~Néro~   L'ecarlate des Silences ~Néro~ EmptyMar 21 Mar 2023 - 19:28

Ils sont dans une bulle qui les compresse, qui les broie et dont ils ne parviennent pas à s’extraire. Ils sont épuisés au-delà de leurs limites et ne l'ignorent ni l’un ni l’autre. Ania sent qu’elle arrive au bout de sa résistance. D’une manière ou d’une autre, il faut que cela s’arrête. Elle n’arrive pas à déceler le moindre rayon de lumière dans l’obscurité aride de leur échange. Nero l’a laissé parler, aller au bout de ses rémarques funestes, elle lui épargne la profondeur boueuse de ses réflexions et la confusion de ses doutes. Cela ne leur apporterait rien. Elle n’est pas non plus capable de faire preuve de la même sincérité qu’il lui a offert, cadeau toxique. Cette vulnérabilité, elle n’en est pas capable, ne possède pas cette force.

Ils sont éloignés de quelques pas, sans chercher à s’effleurer, sans tenter un pont physique pour adoucir les coups involontaires qu’ils se portent. Ania y est sensible, c’est déjà le crépuscule qui s’annonce dans ce vide. Le ton qu’ils emploient est trop calme, trop posé. Un effort délibéré pour ne surtout pas hausser la voix. Ils ne se coupent pas, ne s’interrompent pas. C’est terriblement poli et courtois.

C’est un soulagement étrange quand une pointe d’agacement colore ses mots, quand il autorise une esquille de son caractère emporté à transparaître. L’ombre d’un sourire, à peine, relève les commissures de ses lèvres. La jeune femme ne se moque pas de lui mais elle a la confirmation qu’il est bien présent, qu’il n’est pas totalement éteint. Chaleur tendre qui lèche ses veines. Elle aime ses élans passionnés autant qu’elle est sensible aux efforts fournis pour ne pas échouer le frêle esquisse qui les soutient.

Elle a la grâce de rougir, de sentir ses joues s’empourprer d’un voile rosé quand il s’agace de sa remarque sur Anamaya. Elle avait consciente que c’était une remarque déloyale. Pas forcément fausse  mais malvenue. Utilisée uniquement comme étaie de ses arguments. Il apprend à connaître sa fille, petit à petit. Elle n’a pas peur de les laisser seuls ensemble, aime partager du temps à trois malgré le danger de voir Aya s’attacher trop profondément à un homme alors qu’elle ne sait pas encore s' il n’est pas juste de passage. Il sait ce que ca change et le geste du poignet qu’elle esquisse englobe tout ce qu’ils taisent. Aya n’est pas juste une adorable gosse, elle doit apprendre à contrôler un pouvoir mortel. Ce n’est pas un aspect qu’Ania néglige. -Si jamais le dossier d’adoption se retrouve contesté, ou que la nature Ase d’Aya est découverte, tu pourras nier toute implication sur ce point.  Il ne sera pas possible de prouver que tu étais au courant. On a détruit toutes les preuves te compromettant.

Sans compter son nom de famille qui sera un bouclier efficace. Elle secoue légèrement la tête, le goût de l'alcool lourd sur ses pupilles alors qu’ils s’éloignent du sujet de sa fille. Il ne la fera pas changer d’avis. Si elle doit finir au Ragnarok pour sas gosse,  il ne la suivra PAS dans sa chute. Elle n’a pas besoin de verbaliser cette évidence. Elle prendra toute la responsabilité sur ses épaules. Elle  est beaucoup de choses, certainement pas un rat. Quand il bifurque sur sa famille, il a toute son attention.

Son cœur se décroche. Une grimace de fatigue. Une moue écourée. De la tristesse pour lui, pour ces liens barbelés qu’il décrit avec ses parents. Le fatalisme de ses mots. Mon père ne m'aime pas. Il y a là des douleurs profondes qu’il n’aborde pas et la catin ne le presse pas. N’est pas certaine de vouloir connaître tous les vers qui pourrissent derrière ces mots. Sinon la certitude qu’îl n’est pas lucide quant à leur relation à eux. Comment pourrait-elle être autre chose qu’un moyen de prendre le dessus sur son enfance tourmentée? -Ton père ne sait pas ce qu’il perd à ne pas te Voir.  Tu bosses comme un dingue. Tu as mérité ta réussite. ton père est aveugle. -Elle a croisé les bras sur sa poitrine, les mains refermées sur ses avant-bras, étroitement. Un sourire sans joie quand il tente encore de la convaincre qu’ils ne sont pas foutu. Elle n’arrive pas à l’entendre, plus vraiment Elle n’arrive pas à se sortir des pensées toxiques qui tourbillonnent derrière son regard las et ses prunelles qui n’arrivent plus à exprimer ses émotions. Elle est à la fois vide et trop pleine. C’est un brouillard qui l'empêche d’être totalement presente. Ania s’est refermée en elle-même, hors d’atteinte. Quelque part, à un moment durant cette discussion, ils ont franchi son point de rupture et l’éloquence de Néro se heurte à une muraille intangible. Un mouvement du menton farouche. Une négation totale. Quand il se rapproche d’elle, pas de fuite, mais un raidissement total, ses doigts se resserrent sur sa chair, phalanges blanchies. L’air est vicié entre eux et ce n’est qu’en retrouvant son indifférence de poupée de cristal qu’elle parvient à survivre. Il ne s’agit pas de blesser Nero, protection instinctive.

Ses grands yeux sont levés vers les siens, mais ils débordent. C’est devenu un miroir qui ne fait que le réfléchir lui sans crocher dans la glace qui forme autour de son cœur qui est en train de se fendre. Il ne répond pas sur la manière dont il pourrait la présenter et c’est aussi bien. Il n’y a pas de bonnes réponses. Que des mauvaises solutions. Quand il s’éloigne de ce Nous impossible, invisible, elle est moins oppressée. C’est plus facile de se concentrer quand elle n’est pas au centre. Sa mère. Pute. Pute dans des conditions les plus ignobles. -j’ai entendu parler de ces années là. -La voix est basse, plus rocailleuse. Dans les tessitures plus basses qu’elle emploie plus volontiers quand elle bosse. -J’ai rencontré des filles qui les ont vécues, souvent des épaves ou des Madames. Pas de juste milieu. Je ne compare pas nos situations. Ta mère a eu de la chance de pouvoir y échapper. Je ne pourrai jamais la juger pour ses choix. Maintenant, il y a des règles. Des protections.

Il s’éloigne, ses mains se relâchent. Empreinte de ses doigts sur sa peau. Sonnée, elle retrouve machinalement un verre d’eau. S’interdit la bouteille. Elle n’est pas son épave de père. C’est bien trop tard pour prendre des précautions, pour ne pas parler d’un futur lointain, elle est complètement avalée par la spirale destructrice des Et Si. Des conséquences violentes. De ces obstacles infranchissables sur lesquels il est prêt à s’ouvrir les veines dessus. Pas elle. Elle n’a pas l’intention de le laisser faire. Elle se promet de garder la tête froide et les yeux bien ouverts. Le choix est si simple. Douloureux, mais si simple. -Tu ne parles jamais sans réfléchir. -Il y a de l’acier dans ces quelques mots. Il ne foutra pas sa vie en l’air. Il quitte la cuisine et elle ne le retient pas. Renverse la tête en arrière, pour aspirer quelques goulées d’un oxygène qu’elle ne parvient pas à absorber correctement.  Ses affaires  à la main, son téléphone activé. Elle n’a pas bougé, enracinée. Bouger lui semble hors de portée. -Ce n’était pas… Tu as eu raison, on avait besoin de parler de tout ça.

Il poursuit et quelque chose explose avant d’être immédiatement pris dans une gangue gelée qui lui permet de ne pas s’effondrer sur le champ. Il tend la main vers elle. Offre encore. Ne ferme aucune porte. -Je t’appelle bientôt. -Que c’est creux et vide. Elle ne promet pas. C’est un baume si ridicule qu’il ne trompe personne, pas même elle.  Ania ne va  pas vers lui. Ne recherche pas le parfum de sa peau ou le goût de ses lèvres. Pas une dernière fois. Ils sont séparés par un abîme qui se creuse à chaque seconde et qu’elle observe s’approfondir. Elle ignore ce qu’il suppose. Préfère ne pas le savoir. Le geste de refus est infime. Mais il en saisit parfaitement le sens. Plus rien. Par pitié, plus rien.  Il trouve le chemin de la terrasse. Hébétée, elle finit par bouger.

Se retrouve dans la chambre d’Aya, la plus excentrée, la plus éloignée de la terrasse et de la porte de sortie. Un livre de contes aux pages écornées. Elle s’assoit contre la porte, le dos contre le battant s’assurant qu’il reste bien clos. Ne veut plus rien entendre et surtout pas la sonnette du taxi ou le départ de Néro. Le mot Fin en lettrine illuminées de couleurs vives.
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L'ecarlate des Silences ~Néro~ Vide
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